Avant de fêter, en 2025, le cinquantenaire de l’Auditorium Maurice Ravel de Lyon, l’Orchestre National de Lyon a tenu à célébrer les 80 ans de son directeur musical honoraire, Leonard Slatkin, en poste comme directeur musical de l’institution lyonnaise entre 2011 et 2020, les rênes ayant été reprises la même année par le chef et violoniste danois Nikolaj Szeps-Znaider (dont le mandat vient d’être prolongé de 3 années supplémentaires, jusqu’en septembre 2027). Et comme invité d’honneur à ce concert donné les 3 et 5 octobre, le jeune violoncelliste britannique Sheku Kanneh-Mason, placé sous les feux des projecteurs depuis son triomphe en 2016 au prix BBC du jeune musicien de l’année (et accessoirement par sa performance lors du mariage du Prince Harry et de Meghan Markle en 2018).
Crédit photographique © Emmanuel Andrieu
La soirée débute par l’exécution d’un ouvrage composé en 2000 par… l’épouse du chef, la texane Cindy McTee (née en 53), une pièce intitulée “Timepiece” et créée par et pour l’Orchestre de Dallas (pour son centenaire en 2001)? C’est une œuvre qui se veut une réflexion sur le temps qui passe, mais plutôt heureuse, avec ses références joyeuses au jazz, mais aussi des passages emplis de mystères, dans laquelle les percussions ont une place prépondérante. Présente, elle vient saluer le public aux côtés de son époux.
Suit le Concerto n° 2 en sol mineur op. 126 de Dmitri Chostakovitch qui fut, comme le premier, dédié à Mstislav Rostropovitch qui en fit la création en septembre 1966 à Moscou dans la grande salle du conservatoire sous la direction d’Evgueni Svetlanov. Cette œuvre marque une évolution dans le style du compositeur, se dirigeant de plus en plus vers une écriture post-symphonique. Le concerto comporte trois mouvements dont un Largo initial très introspectif dans lequel s’instaure peu à peu un dialogue entre le soliste et l’orchestre. Le mouvement suivant Allegretto est basé sur un rythme de danse évoquant l’Europe centrale. Pour finir, Chostakovitch offre quelques contrastes lyriques, souvent exubérants, l’œuvre se terminant cependant dans le calme, au moyen d’un carillon extatique et céleste.
L’approche du jeune violoncelliste anglais s’avère d’emblée passionnante. Le violoncelliste se met à distance de cet énorme héritage historique. On ne ressent pas l’ambition d’une écrasante présence du soliste par rapport à l’orchestre mais bien plutôt d’une symbiose plus marquée entre le violoncelliste et la conduite d’une formation partenaire, selon une volonté bien dosée de la part du vétéran américain Leonard Slatkin. Malgré la sonorité puissante et fruitée de Sheku Kanneh-Mason, il y a ce soir une compréhension affirmée des affects de la musique en un dialogue subtil et complice, avec la phalange et son chef.
Après l’entracte, place à la très “yankee” Symphonie n°3 d’Aaron Copland, sans nul doute l’œuvre américaine la plus populaire du répertoire symphonique, dépassée seulement par la Symphonie n° 1 de Samuel Barber en termes de fréquence d’exécution. Bien que des accords suggérant les grands espaces du paysage américain sont entendus dans le début de l’œuvre de Copland, la Symphonie n° 3 est pour l’essentiel une proposition classique sans réelle influence du jazz et de la musique populaire, styles musicaux qui contribuèrent à la réputation du compositeur étasunien. Ce soir, les deux premiers mouvements sont les plus réussis. Grand spécialiste et défenseur de ce répertoire, Leonard Slatkin veille à ce que la ligne lyrique du premier mouvement garde une présence suffisante pour relier les différentes sections entre elles. Sous sa direction, l’écriture des cuivres de Copland, qui peut parfois flirter avec la stridence, se révèle intense et chaleureuse. Le deuxième mouvement est très drôle avec ses bégaiements ludiques, tandis que le troisième, qui se montre quelque peu sinueux, avance juste comme il faut. La célèbre fanfare du dernier mouvement est à la fois entraînante et stimulante, au point en tout cas de susciter de la part du public lyonnais une immense ovation (certains spectateurs applaudissent même debout !). Après deux ou trois allers-retours vers les coulisses, la phalange lyonnaise entonne un “Happy birthday” pour célébrer les 80 printemps de leur ancien directeur musical, ce qui ne manque pas de l’émouvoir… et nous aussi !
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CRITIQUE, concert. LYON, Auditorium Maurice Ravel, les 3 et 5 octobre 2024. Mc Tee / Chostakovitch / Copland. Orchestre National de Lyon, Sheku Kanneh-Mason (violoncelle), Leonard Slatkin (direction). Photos © Emmanuel Andrieu
VIDEO : Leonard Slatkin dirige « La Symphonie fantastique » de Berlioz à la tête de l’Orchestre national de Lyon