Philippe Jaroussky poursuit sa déjà 3ème année de résidence à l’Opéra Orchestre National de Montpellier ; le contre-ténor, grand ambassadeur des affetti baroques, propose avec la complicité de son Ensemble Artaserse (créé en 2002), un florilège d’airs baroques, à partir de Cantates italiennes, majoritairement du XVIIIème (Settecento), sous l’intitulé (hautement dramatique) : « Gelosia / Jalousie ».
Vertiges et passions du Settecento italien
Le vertige des passions humaines est l’apanage d’une période riche en réalisations expressives, qu’elle soient pour l’opéra ou l’église ; chaque partition exprime les affres de l’emprise amoureuse, l’arête brûlante des sentiments les plus affûtés.
Le choix est large et démontre l’appétit des interprètes comme la richesse et la diversité des écritures : fines volutes éruptives d »Ombre tacite e sole » d’Alessandro Scarlatti ; tourments impérieux de « Cessate, omai cessate ! » d’Antonio Vivaldi. Sans omettre la coupe plus « raisonnée » et déjà comme « classicisée » par le verbe maîtrisé du librettiste Pietro Metastasio dans la Cantate « La Gelosia » (qui donne le titre du programme), ici mis en musique respectivement par le napolitain Nicolo Porpora et le vénitien Baldassare Galuppi. Tous les compositeurs sont aussi de grands auteurs sur la scène lyrique, et ces Cantates empruntent naturellement leur style et leur grammaire à… l’opéra. Sous les feux d’une impuissance, le venin de la jalousie le dispute à la rage vengeresse que quelques brefs instant d’accalmie, parviennent à peine à tempérer.
Si le suraigu et la puissance naturelle d’il y a 20 ans ne sont plus toujours au rendez-vous, le chant de Philippe Jaroussky séduit toujours par sa science de la caractérisation juste (son expressivité s’avère plus syncopée chez Alessandro Scarlatti) ; il exprime l’intensité des écritures et les enjeux psychologiques de chaque situation, car toutes ces Cantates sont de petits opéras pour voix seule. L’attention aux mots, aux accents et au sens du sous-texte (dans les arias comme surtout les récitatifs, qui sont tous accompagnés) démontre le métier du chanteur qui – depuis ses débuts – a convaincu dans l’art d’incarner nombre de personnages et de héros sur les planches ; à chaque fois soucieux des contrastes et des vertiges des passions ainsi révélées.
La douceur émotionnelle surgit chez Vivaldi… et son aisance s’affirme dans Galuppi. Autant de nuances dans l’art du chanteur se retrouve chez les instrumentistes de l’Ensemble Artaserse qui s’ingénient en souplesse à énergiser les nombreuses danses qui assurent le cadre et l’élan rythmique de chaque aria (menuet chez Porpora). Les musiciens peuvent même briller dans la Sinfonia de Francesco Durante (parmi les intermèdes purement instrumentaux) ou le Concerto pour cordes de Vivaldi, affirmant sous l’impulsion du premier violon, Raúl Orellana, une ardeur irrésistible.
Généreux, le soliste offre en bis, une redoutable aria, alliant virtuosité et sentiment, « Alto Giove » extrait de Polifemo de Porpora, dans laquelle le velours vocal se déploie encore plus naturellement, en particulier en début de séquence.Et pédagogue, Philippe Jaroussky proposera – comme un prolongement de l’intensité de ce concert – la performance déjà attendue des élèves de son Académie, le mercredi 28 février à l’Opéra-Comédie de Montpellier (« Midi musical » / Lauréats de l’Académie Philippe Jaroussky, à 12h30).
Le rendez-vous est pris !
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CRITIQUE, concert. MONTPELLIER, Opéra Comédie, le 2 février 2024. CANTATES ITALIENNES / Ensemble ARTASERSE / Philippe Jaroussky. Photo (c) OONM.
VIDEO : Philippe Jaroussky interprète la Cantate « Cessate, Omai cesssate ! » d’Antonio Vivaldi avec son Ensemble Artaserse