jeudi 17 avril 2025

CRITIQUE, concert. PARIS, Auditorium de Radio-France, les 26 et 27 septembre 2024. RACHMANINOV : Intégrale des Concertos pour piano. Mikhaïl Pletnev (piano), OPRF, Dima Slobodeniouk (direction).

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Rémi Monti
Rémi Monti
Auditeur compulsif de concerts dont l’amour pour la musique classique s’est développé à Toulouse, Paris mais surtout à Moscou, par le chatoiement des pianistes et des orchestres se succédant dans la Grande Salle du Conservatoire, Rémi travaille depuis plusieurs années entre journalisme et production (Radio Classique, Pianiste Magazine, Philippe Maillard Productions, Festival Tons Voisins d’Albi…).

Le big boss débarque à Paris ! Mikhaïl Pletnev jouit d’une aura surnaturelle en Russie : c’est le pianiste préféré de vos pianistes préférés, un compositeur respecté, un bâtisseur d’orchestres et un chef adulé. Très rare au pupitre dans nos contrées, il est parfois vu comme un OVNI du piano pour ses interprétations hautement personnelles. Et pourtant, il y a bel et bien une cohérence dans celles-ci, et en aucun cas la pédanterie du virtuose trop doué cherchant à attirer les regards. Le voilà à Paris pour deux soirées et une Intégrale des Concertos de Sergueï Rachmaninov avec le Philharmonique de Radio France et Dima Slobodeniouk dans une Maison de la radio pleine à craquer.

 

 Crédit photo © Edouard Brane

 

Accompagner Pletnev en concert requiert un peu plus d’écoute qu’avec un autre soliste : les tempi se sont encore ralentis, les dynamiques restreintes. Par chance, on lui a donné un immense chef pour ces deux concerts : Dima Slobodeniouk. Le chef et le pianiste doivent travailler ensemble pour proposer la vision de Pletnev : ouvrir l’espace, aller chercher le détail, proposer un chant ample et aéré. Et pour cela, ces messieurs auront à leur disposition le Philharmonique de Radio France, bonne nouvelle ! L’orchestre le plus sérieux qui soit, portant avec toute la discipline du monde cette esthétique, formé d’une petite harmonie au charme infini qui rayonne dans les superbes lignes de Rachmaninov, et de cordes solides et cohérentes.

L’esthétique en question est d’abord caractérisée par un refus du pathos et du sentimentalisme. L’exemple le plus frappant se situe dans l’ouverture du Concerto n°2 : un premier accord arpégé tout à fait léger joué par Pletnev, les suivants expédiés comme si de rien n’était. Entrée de l’orchestre. Pletnev ne souhaite pas porter le drame quand il est trop marqué, il refuse de caractériser une souffrance romantique dans ces pages. Les mouvements lents sont pourtant des sommets d’émotion, mais une émotion transmise par une élévation féerique, comme dans un ton de conteur dans le solo de l’andante du Concerto n°1. Le drame est bien présent, mais sous-jacent, créé au piano par le don qu’a Pletnev de créer le vertige en une suite d’accords, par un changement d’éclairage, par une profondeur de son. Citons également le second thème du final du Concerto n°2. Une prise de parole de Pletnev tellement concentrée et sensuelle dans l’un des plus beaux thèmes de Rachmaninov. Et la clarinette de Baldeyrou qui vient se poser juste en dessous, l’accompagner puis s’éteindre.

Les finales des Concertos n° 2 et 3 sont des réussites. Pas de lyrisme exacerbé ou de final électrique, seulement des cordes cohérentes, expressives et sonnant larges sur lesquelles se pose la détente totale de Pletnev. Le Concerto n°4 est une sorte d’aboutissement de toutes ces esthétiques. Peut-être que l’on entend mieux les intentions d’un orchestre, du chef et du pianiste après trois concertos, mais on semble aller encore un pas plus loin. L’œuvre est lente, mise à nu. C’est une exposition de ses entrailles et de ses rouages. Les moments inoubliables ne manquent évidemment pas, de la couleur des accords ouvrant le largo à la coulée de lave qu’est le retour du thème. Le son de Pletnev venant d’abord du fond du piano, se développant avec l’orchestre, se plaçant juste au-dessus l’espace d’un instant avant de se loger de nouveau dans le son des cordes.

Avec un tel pianiste, chaque mesure est notable, “intéressante” selon le cliché du commentaire artistique. On pourrait procéder à l’état des lieux de la performance, mais il s’agirait de s’intéresser à la direction prise par cette interprétation si différente des autres. Pletnev entre dans l’œuvre pour la disséquer : refus du drame, narration légendaire, sens du détail, lyrisme ample, vertige de sa décontraction absolue. L’expérience est différente de l’honnêteté désarmante et du puritanisme d’un Lugansky, du jaillissement torrentiel si naturel d’un Berezovsky, de la prétention à un lyrisme immense de Kholodenko ou Geniusas. Différente, mais plus questionnable sur la durée des quatre concertos et moins frappante émotionnellement. Cette esthétique a des limites dans les mouvements extrêmes, particulièrement dans cette acoustique sèche et rude pour le pianiste. En concerto, Pletnev a logiquement un espace d’expression restreint où son piano n’a pas le contrôle sonore total. Dans certains des passages les plus joueurs, dans certaines transitions, le pianiste et l’orchestre doivent travailler ensemble pour créer une luxuriance, des jeux, des échos, des frottements… mais le piano se trouve ici délaissé de son pouvoir magique de prise de parole et ne porte plus l’orchestre et les traits divins des vents. L’orchestre, par ce tempo lent, se trouve délaissé de sa luxuriance et de ses jeux sonores, et les cordes ne portent plus ce piano capable de créer le vertige en se posant dessus.

Pour conclure, trois bis inoubliables : un Nocturne op.9/2 d’une douceur, d’un ton aristocratique et informel… jouer dans une salle de 1.500 places comme on joue dans son salon. Une Etude de Moszkowski à la réalisation exceptionnelle et au son dénué de toute électricité. Un Prélude op.23/4 de Rachmaninov comme apothéose du parti-pris des concertos, une détente totale du discours baignée dans un clair-obscur. Pletnev est un pianiste immense parce que son idiosyncrasie sert la cohérence d’un discours hautement personnel et reconnaissable entre mille. C’est art du pas de côté dans l’œuvre capable d’alléger le drame en comptine et d’élever l’anecdotique en événement par une mise en valeur des frottements d’une partition. La création d’un univers sonore entre sophistication du phrasé, intimité, miroitement et plasticité du son, ton informel mimant l’improvisation et candeur populaire… un pianiste qui plie l’instrument à son imaginaire.

 

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Auditorium de Radio-France, les 26 et 27 septembre 2024. RACHMANINOV : Intégrale des Concertos pour piano. Mikhaïl Pletnev (piano), OPRF, Dima Slobodeniouk (direction). Photos © Edouard Brane.

 

VIDEO : Mikhaïl Pletnev interprète l’Intégrale des 5 Concertos pour piano de Rachmaninov (sous la direction de Kent Nagano).

 

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