samedi 19 avril 2025

CRITIQUE, concert. PARIS, Cité de la musique, le 13 sept 2024. MAHLER [Elsa Benoît] / JARRELL, Ensemble Intercontemporain,  Pierre Bleuse [direction] 

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Pas moins de 2 créations ce soir pour ce programme d’ouverture de la nouvelle saison de l’EIC / Ensemble Intercontemporain, avec en faiseur principal, le compositeur suisse Michael Jarrell dont l’EIC promet d’ailleurs la réalisation d’autres œuvres (aux côtés du Centenaire Boulez), au cours de cette saison 2024-2025.

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Crédits photos : © Elise Grosbois

 

 

D’abord, en première partie, son Concerto pour piano porte bien son titre : « Reflections II ». La pièce qui fait suite immédiatement à son opéra Bérénice (créé à l’Opéra Garnier à l’automne 2018) déploie une texture très riche et colorée, comme s’il s’agissait d’exprimer une distanciation poétique sur le sujet  ; timbres, étoffe harmonique, longueur des vagues sonores, danse des résonances,… déroulent et nourrissent ainsi comme un halo rétrospectif qui de fait, rend hommage à un ami disparu, le compositeur Éric Daubresse.

 

Le piano en dessine le parcours, un cheminement qui va crescendo tout au long du premier mouvement, puis s’assagit plus poétique, après un effet de clochettes, dans un épisode central, plus contemplatif, conçu comme un canon ; percussif, enivré, le piano s’intègre constamment au groupe orchestral sans jamais l’affronter directement ; le sentiment de s’y fondre et parfois de la stimuler, se confirme progressivement pour réaliser un ensemble organiquement unitaire et cohérent du début à la fin. La personnalité de Jarrell se manifeste dans cette texture à la fois sombre et lumineuse, opaque et transparente où le piano propose des clés directionnelles, sans jamais heurter le groupe orchestral. Il s’agit ici d’une version spécifique de son concerto symphonique ; reconnaissons que dans cette réduction orthodoxe, l’essence même l’œuvre n’a été en rien altérée ; sa force originelle, intacte dans ce dispositif. Elle aurait même gagné une intensité et une concentration renouvelées. La tenue du soliste [Hidéki Nagano] s’affirme tout en poésie et écoute intérieure dans un mouvement central assez envoûtant.

 

Elsa Benoît chante le dernier mouvement de la 4ème de Mahler © Elise Grosbois

 

Plus intéressant encore, la transcription de la 4ème Symphonie de Mahler, réalisée par Jarrell pour les instrumentistes de l’EIC dont il fait une véritable tapisserie sonore intimiste, rétablissant, ce que nous avons particulièrement apprécié ce soir, son caractère essentiel et intime du lied, et aussi son immersion profonde, calibrée, dans le motif naturel : Mahler au bord du Wörthersee (lac de Carinthie) s’immerge en pleine nature pour éprouver, ressentir, composer. La 4ème est conçue dans ce rapport intime, panthéiste, durant les étés 1899 et 1900.

Pierre Bleuse joue manifestement sur la transparence d’une orchestration qui a bien saisi les enjeux des textures allégées, lesquelles semblent justement innerver toute la construction de l’œuvre en 4 mouvements dans un pastoralisme continu et rentré qui affleure constamment dans cette lecture millimétrée. Le mordant aigre, les convulsions du héros face au destin s’effacent ici, sans pour autant jouer la neutralité fade, bien au contraire, la partie du violon solo écrite un ton plus haut que l’original, souligne dans le 2ème mouvement, un discours clairvoyant, vif, très aiguisé. Et pour le coup d’une individualisation assumée.
Bien sûr les puristes regretteront l’ampleur sensuel d’un vrai pupitre de cordes, pilier si essentiel chez Mahler… Cette soie fluide éthérée qui illumine ses mouvements lents… Mais heureuses surprises d’une transcription originale, Jarrell est plus qu’un traducteur respectueux ; il ose distribuer sans une logique attendue les parties réduites avec une grande liberté, en particulier pour les cordes qui jouent des séquences différentes de leur pupitre ; avec aussi l’apport ample du trombone lequel dialogue, soutient les autres instruments dans une grande maîtrise des timbres et des couleurs. De ce point de vue, le troisième mouvement (Ruhevoll) est par son souffle plus unitaire et son geste global, naturel partagé, éminemment convaincant.

Toute la version Jarrell semble préparer à l’explicitation finale ; la quête d’équilibre et de pacification trouve son sommet dans  le 4ème mouvement, chanté dont la voix idéale, lumineuse et sensuelle d’Elsa Benoît exprime la féerie et l’enchantement. Nous sommes aux antipodes des doubles lectures et délire parodique si présents dans les autres symphonies malhériennes. Le texte de  » La Vie céleste  » [extrait du Cor merveilleux de l’enfant] donne la clé et le caractère de cet édifice fragile parfois furieux, toujours enivré ; tout prépare aux visions des délices célestes et sous la baguette de Pierre Bleuse constamment attentif aux équilibres, à la transparence comme aux nuances, les solistes de l’EIC paraissent comme les spectateurs avoir franchi chaque étape d’une lente, sûre et progressive ascension pour une belle lévitation finale. Passionnant.

 

Les saluts finaux avec Elsa Benoît et Pierre Bleuse © classiquenews studio

 

 

Approfondir

APPROFONDIR (d’autres articles de l’EIC / Ensemble Intercontemporain saison 2024 – 2025 sur CLASSIQUENEWS) :

 

LIRE aussi notre annonce / présentation du concert Michael JARRELL / Gustav MAHLER, EIC Ensemble Intercontemporain / Pierre Bleuse, concert d’ouverture du 13 sept 2024 : https://www.classiquenews.com/ensemble-intercontemporain-jarrell-mahler-ven-13-sept-2024-reflections-nouvel-arrangement-de-la-symphonie-n4-de-mahler-pierre-bleuse-direction/

ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN. JARRELL / MAHLER, ven 13 sept 2024. 2 créations mondiales de Michael JARRELL : Reflections II, nouvel arrangement de la Symphonie n°4 de Mahler (Pierre Bleuse, direction)

 

LIRE aussi notre présentation de la saison 2024 – 2025 de l’EIC Ensemble intercontemporain : https://www.classiquenews.com/ensemble-intercontemporain-nouvelle-saison-2024-2025-temps-forts-centenaire-pierre-boulez-edgard-varese-rebecca-saunders-clara-iannotta-francesco-filidei-sofia-avramidou-bastien-david-mic/

 

ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN, nouvelle saison 2024 – 2025. Temps forts : Centenaire Pierre Boulez, Edgard Varèse, Rebecca Saunders, Clara Iannotta, Francesco Filidei, Sofia Avramidou, Bastien David, Michael Jarrell… 

 

LIRE aussi notre ENTRETIEN avec PIERRE BLEUSE, directeur  musical, à propos de la nouvelle saison 2024 – 2025 de l’EIC Ensemble Intercontemporain : https://www.classiquenews.com/ensemble-intercontemporain-entretien-avec-pierre-bleuze-directeur-musical-a-propos-de-la-nouvelle-saison-2024-2025/

 

Entretien avec Pierre BLEUSE, directeur musical de l’Ensemble Intercontemporain, à propos de la nouvelle saison 2024-2025. Centenaire Pierre Boulez, Michael Jarrell, Edgar Varèse…

 

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