Nous sommes au Trianon de Paris pour un spectacle singulier très attendu : NO(S) DAMES, un hommage dégenré aux héroïnes d’opéra, défendu et interprété par le célèbre contreténor Théophile Alexandre et le superbe quatuor à cordes Zaïde, composé exclusivement de femmes.
Ce projet lyrique humaniste part du principe bien réel que, en 4 siècles de création d’opéra, le sort imposé à ses héroïnes est toujours ou presque tragique : souffrances et violences perpétuelles qui finissent immanquablement au meurtre (féminicide) ou suicide. Pour illustrer le propos évident et pertinent (mais qui, jusqu’à maintenant, n’avait pas inspiré de créations artistiques de ce style…), les « rôles » sont redistribués : la direction musicale revient aux femmes et les agonies des divas au chanteur, pour « partager la beauté de cette musique sans perpétuer ses fatalités de genre ». Excellent !
La fin des drames de dames ?
Après un discours-présentation prononcé par la journaliste Giulia Foïs commence la première partie assurée par Claire Diterzi et ses acolytes Nadia Simon et Maude Turet. Cette première partie rock-alternatif est une véritable surprise, l’auditoire est très rapidement conquis par la musique. La sélection de 7 chansons aux sujets pertinents est aussi l’occasion pour l’artiste de faire une démonstration, décontractée mais saisissante, de la richesse et de l’ampleur de son œuvre musicale ; le tout pimenté d’aveux et d’anecdotes intimes en lien direct avec le sujet ! Une découverte heureuse pour nous qui est aussi un geste porteur d’un certain espoir : celui de voir plus de brassage, d’ouverture et de liberté dans la culture et la création artistique. L’auditoire est enflammé au départ de Claire Diterzi, sans doute encore stimulé par la beauté troublante de la dernière chanson « Je suis un pédé refoulé » et l’excellente qualité de la performance.
Excellence est un nom qui correspond tout aussi parfaitement à l’interprétation des artistes lors de la deuxième partie, le spectacle NO(S) DAMES. Charlotte Maclet, Leslie Boulin Raulet, Sarah Chenaf et Juliette Salmona du Quatuor Zaïde sont les cheffes du lieu : elles habitent l’espace avec une aisance surprenante (elles sont là, seules, instruments à la main !) et interprètent des musiques arrangées pour leur formation avec un panache et un brio évident, jamais pompier. Elles jouent la sélection d’airs chantés d’une certaine manière qui fait qu’il est impossible de les voir comme accompagnatrices musicales d’une vedette lyrique, mais comme des solistes à part entière. Quand elles interprètent des morceaux purement instrumentaux, comme l’arrangement décoiffant et virtuose du célèbre deuxième air de la Reine de la Nuit, par exemple, elles rayonnent encore davantage !
Le contre-ténor Théophile Alexandre paraît complètement habité par le projet, et c’est très agréable de voir un artiste se donner et s’abandonner complètement de cette façon ; il met visiblement tout son talent lyrique dans l’exécution des airs, très souvent remarquable, en particulier dans « Yo soy Maria » de Piazzolla, « Youkali » de Weill ou encore l’éternel « l’Amour est un oiseau rebelle » de Bizet. Un autre aspect remarquable de la production est, outre la prestation du chanteur, le travail chorégraphique. Le contre-ténor se révèle superbe danseur grâce au langage chorégraphique moderne et pragmatique de Béatrice Warrand qu’il interprète aisément, tout en chantant !
Trois actes, sans entracte
Le spectacle est présenté ainsi, de façon symbolique (la durée est 1h10). Intellectuellement c’est tout à fait intéressant, puisque le pseudo-découpage met en exergue les chambres étroites où les femmes d’opéra étaient cantonnées : madone, putain et sorcière. Cependant, cet aspect de la mise en scène (ou plutôt mise en espace) est le moins réussi d’une production autrement pleine de mérite. Chaque air est présenté par une projection du nom de l’air sur scène, du début à la fin. Ceci fait que nous avons systématiquement un schéma : nom de l’air, puis interprétation de l’air, bis repetita. Avec d’excellents musiciens qui se donnent à fond. Un peu comme la forme traditionnelle de l’opéra baroque, admirée et décriée depuis Monteverdi… et dans tout cela, le récit, qu’est-ce que c’est ? La mise en scène le met en lumière ou l’obscurcit ? Elle veut raconter quelque chose ou meubler, tout simplement ? A méditer.
Ce petit bémol n’enlève rien à la singularité heureuse de la production, ni à la qualité des interprétations. C’est pourquoi nous réitérons nos plus sincères félicitations aux merveilleux artistes ! Le spectacle se présente dans un format adapté à la Sainte Chapelle de Paris le 24 avril, au Théâtre de Saint Valéry en Caux le 16 mai et à l’Opéra de Clermont-Ferrand le 9 novembre 2023. A ne pas manquer.
A la fin de la représentation unique au Trianon, Ghada Hatem, créatrice de la Maison des Femmes à Saint-Denis, monte sur scène pour un court discours d’appréciation et de remerciement. La Maison des Femmes est la première structure en France à offrir une prise en charge globale des femmes, victimes de violences et de l’excision.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Le Trianon, le 12 avril 2023. NO(S) DAMES, hommage dégenré aux héroïnes d’opéra. Quatuor Zaïde, quatuor à cordes. Théophile Alexandre, contreténor. Mise en scène, scénographie, costumes, Pierre-Emmanuel Rousseau. Mise en mouvement, Béatrice Warrand. Idée originale & direction artistique, Emmanuel Greze-Masurel. Crédit photo © No(s) dames