mercredi 16 avril 2025

Critique, concert. PARIS, Philharmonie, le 3 mars 2024. TCHAIKOVSKI : Le Voïévode, Hamlet, Symphonie Pathétique. Gewandhaus-Orchester Leipzig / Andris NELSONS (direction).

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Ils étaient à Paris en 2022, lors de leur première tournée européenne post-pandémie, et le week-end dernier, le Gewandhausorchester de Leipzig et son chef attitré Andris Nelsons étaient de retour à la Philharmonie de Paris. Cette fois-ci, ils proposaient deux programmes entièrement consacrés à Piotr Illitch Tchaïkovski, et nous avons assisté au deuxième concert, le dimanche 3 mars.

 

Comme tous les excellents orchestres germaniques, l’Orchestre du Gewandhaus se distingue par son unité, grâce à une sonorité extrêmement homogène sur tous les registres. On remarque immédiatement les cordes soyeuses et ambrées, les bois ombragés et les cuivres assez sombres mais bien assis. La soixantaine d’instruments à cordes sonne comme un seul instrument, dont la texture policée se conjugue avec la densité. Il en va de même pour les harmonies, ce qui est tout de même étonnant compte tenu de timbres très différents de chaque pupitre. On assiste parfois à une ambiguïté sonore confondante entre les cordes et les bois. Nelsons manie ce gigantesque instrument comme une pâte à modeler, en donnant la forme adéquate à chaque page des trois œuvres interprétées.

C’est ainsi que, dès le début de la pièce intitulée Voïévode op. 78, le chef impose le caractère militaire du sujet (voïévode désigne entre autre un chef de guerre) avec un crescendo puissant, suivi d’une transition avec les bois sur un tapis de seconds violons, où la tension n’est pas nerveuse. Puis, les altos, les cors et les bassons jouent dans une seule sonorité fondue. Un moment magique assurément, dans cette association de trois sons d’instruments forts variés, tout comme le célesta (placé côté cour) qui, bien qu’encore discret, apporte une nouvelle sonorité. Tout à la fin de cette « ballade symphonique », le point culminant dans les registres graves des cuivres s’éteint rapidement, laissant un sentiment d’inachevé, mais l’orchestre assume la dramaturgie de la partition qui, dans Hamlet, la deuxième pièce de la soirée, est mieux présentée.

Dans Hamlet, quelques remarquables solos, notamment le magnifique hautbois au son clair pour incarner Ophélie, et de brèves interventions du cor anglais, ponctuent cette « fantaisie » dédiée à Edvard Grieg. L’interprétation se déroule dans une texture semblable à la laque polie, à plusieurs couches travaillées et retravaillées, conférant une profondeur aux épisodes sonores shakespeariens. Mais à la fin, le son des timbales ne s’est pas encore dissipé, qu’un auditeur « pressé » fait retentir ses applaudissements, sans permettre à la salle d’aller jusqu’au bout du silence…

Le caractère dramatique atteint le paroxysme avec la Symphonie « pathétique », sans que le désespoir ne s’impose pour autant dans l’interprétation. Les musiciens offrent cependant une profusion de beaux moments que l’on goûte sans modération. L’œuvre commence comme surgie de nulle part, et le basson s’interroge sur la destinée. Le thème initial, avec un tempo modéré au rythme régulier des pas d’un soldat (ou d’un acteur, ou d’un jeune plein d’idéal, peu importe la profession !) déchu sans destination. Vient le second thème avec des cordes veloutées et légèrement voilées, à fleur de peau. Toute la sensibilité de Tchaïkovski semble se concentrer sur ces quelques mesures, avec une touche irrésistiblement nostalgique. Dans sa reprise, Andris Nelsons donne une couleur plus ouverte, avant une explosion brutale. Entre-temps, la clarinette solo, aussi sensible que les cordes quelques pages auparavant, propose une réplique pleine de grâce. La valse à cinq temps du deuxième mouvement est assez terre à terre et disciplinée, avec un tempo également modéré. Dans la partie centrale, la pédale des timbales sonne comme un appel venant de l’abîme au milieu de beaux souvenirs, un tempo plus retenu accentuant cette sensation. Les accords finaux des vents sont d’une grande douceur, et la caresse musicale tout au long du mouvement procure un sentiment de bien-être, que certains applaudissent à la fin du mouvement.

Nelsons semble concevoir le troisième mouvement comme étant un scherzo binaire. Outre l’éblouissante virtuosité du timbalier, l’orchestre conserve une certaine sobriété du son. On pourrait le comparer comme le bois de chêne, pour sa densité et son aspect compact. L’homogénéité est partout, jusqu’au panache de la fin. Mais au-delà de l’admiration que suscite l’impeccable cohérence sonore, on attendait plus de brillance, quelque chose qui explose dans tous les sens, tels des feux d’artifice. Ce soir, l’homogénéité superlative semble l’emporter sur la flamboyance. Le final, toujours placé sous le signe de la sobriété, joue une fois de plus sur l’ambivalence sonore. Ici, les cordes se rapprochent des bois, à tel point qu’il y a des moments où on ne sait exactement quel instrument on entend, si l’on écoutait les yeux fermés. Nelsons introduit une très brève pause à la fin de certains phrasés, pour repartir sur une nouvelle base, ce qui permet d’aérer. Par ailleurs, l’enchaînement entre différentes séquences jouées par différents instruments s’effectue dans une continuité absolument surprenante. On n’y constate aucune rupture – ni de temps ni de timbre. Encore une fois, les musiciens font preuve d’une cohérence orchestrale sidérante. Les sanglots de la fin aux contrebasses sont infiniment sombres, mais pas désespérés…

C’est en écoutant ce soir l’interprétation du Gewandhausorchester sous la direction d’Andris Nelsons que nous constatons – peut-être pour la première fois – que cette symphonie est finalement assez italienne, dominée par les contrastes théâtraux, par le clair-obscur cher à la sculpture baroque… La symphonie se termine par un recueillement, mais encore une fois, le même auditeur frappe des mains trop tôt sans laisser la dernière note s’estomper totalement dans le silence. Malgré quelques autres personnes qui l’ont suivi, cette fois, le chef reste immobile, pour aller jusqu’au bout de l’œuvre, avec le silence…

 

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Critique, concert. PARIS, Philharmonie, le 3 mars 2024. TCHAIKOVSKI : Le Voïévode, Hamlet, Symphonie Pathétique. Gewandhaus-Orchester Leipzig / Andris NELSONS (direction). Photos (c) Emmanuel Andrieu.

 

VIDEO : Andris Nelsons dirige le Gewandhaus-Orchester dans le « pas de deux » de « Casse-Noisettes » de Tchaïkovsky

 

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