mercredi 3 juillet 2024

CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 7 mars 2024. RACHMANINOV / CHOSTAKOVITCH. Orchestre de Paris / Yunchan Lim (piano) / Klaus Mäkelä (direction).

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Victoria Okada
Victoria Okada
Musicologue de formation (Docteure à la Sorbonne), pianiste dans une vie antérieure, Victoria Okada collabore avec différents supports spécialisés dans la musique classique en France et au Japon, et notamment ClassiqueNews. Elle est également une traductrice recherchée (japonais-français / français-japonais) dans le secteur culturel, et en particulier dans les domaines de la musique classique et des beaux-arts.

Les deux concerts des 6 et 7 mars derniers, avec l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä, ont galvanisé l’auditoire avec la 11èmeSymphonie de Dmitri Chostakovitch. Deux soirées qui furent également loccasion de faire connaître un peu plus la personnalité musicale unique du pianiste sud coréen Yunchan Lim, dans le 2èmeConcerto pour piano de Sergueï Rachmaninov.Les précédentes apparitions parisiennes de Yunchan Lim en février 2023 à la Fondation Louis Vuitton et en octobre dernier à l’Auditorium de la Maison de la Radio en juin 2022 – ont révélé au public parisien ce jeune pianiste né en 2004. Lors du Concours Van Cliburn, édition 2022, ceux qui l’ont découvert en direct ou à travers les streamings et les vidéos l’ont nommé « ovni » ou « extraterrestre », compte tenu de son univers particulier qui n’appartient qu’à lui. Outre l’aspect technique pour lequel nul ne pourra formuler le moindre reproche, son interprétation intrigue parfois, mais elle a la force de convaincre.

 

Les 6 et 7 mars derniers, donc, il a fait ses débuts avec l’Orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä dans le fameux Deuxième Concerto de Rachmaninov. Le jeu est clair, la dextérité est parfaite, l’interprétation est bien rodée. Mais lors d’échanges brefs, à l’entracte, certaines personnes placées au parterre ont exprimé une impression tout à fait autre que ce que nous avons entendu au premier balcon.Un effet dacoustique, probablementEn effet, contrairement à ceux qui disaient que le piano était souvent couvert par l’orchestre, à cause de sa sonorité très douce et enveloppante, au balcon, le piano sonnait au contraire trop en avant (ce qui prouve en même temps son art de faire sonner l’instrument), avec un son dur et froid comme du marbre tout au long de l’œuvre, sans tellement de fusion avec l’orchestre, comme si le pianiste s’était enfermé dans une bulle. Pourtant, l’écoute est bien là, et il ne rate pas un seul geste du chef (qui, nous semble-t-il, lui a laissé une grande liberté). Étrange sensation quand on aperçoit ses qualités indéniables : les poignets servant de ressorts puissants pour des accords percutants, ses touchers ancrés créant un noyau du son autour duquel répandent les résonances multiples selon les nuances souhaitées. Il varie les expressions en modulant les tempi parfois de manière étonnante, mettant en avant des ondulations presque organiques qui relient des motifs, des phrasés ou des séquences. Tout cela se concentre vers la fin du premier mouvement ainsi qu’à la toute fin de l’œuvre, où il retient admirablement la tension avant une véritable effusion sonore. Dans le deuxième mouvement, un duo avec la flûte puis avec la clarinette nous plonge dans une grande beauté sonore, mais ici aussi avec l’impression qu’il se replie dans sa bulle. Quant à l’orchestre, il sonne généralement assez sec, dans le sens où il ne s’attarde pas pour exprimer encore et encore la montée émotionnelle romantique et ce malgré la douceur affectueuse des cors dans le deuxième thème du mouvement initial.

Après l’entracte, on a entendu l’un des meilleurs concerts de l’orchestre cette saison. Tout au long de la 11e Symphonie de Dmitri Chostakovitch, le jeune chef incandescent exerce son magnétisme sur une centaine de musiciens sur scène et sur un auditoire formé par les 2 500 personnes de la grande salle Pierre Boulez (pleine à craquer), pour produire et diffuser ensuite des variations multiples de sons et de timbres, du double piano au triple forte. Ce jeu centrifuge-centripète fascinant ne se relâche jamais, de l’évocation lourde et angoissante de la Révolution de 1905 dans le premier mouvement jusqu’au « Tocsin » final, avec ses masses d’harmonies brutes, déferlantes de fureur. Mais Mäkelä ne cède à aucun déchaînement émotionnel gratuit. Il met méticuleusement tout en place, sans laisser rien au hasard. Et pourtant, la spontanéité miraculeuse opère dans cette préparation scrupuleuse. Ainsi, le deuxième mouvement (« Le 9 janvier »), les vents se font entendre les uns après les autres comme des vagues émergeant de l’océan, une mer plus ou moins calme avant la tempête, avant de se transformer en une course infernale au son d’une petite caisse oppressante. Ensuite, une sorte de résignation traverse dans le troisième mouvement (« Mémoire éternelle ») qui suit, énoncée par les altos à la sonorité boisée et nerveuse, malgré une apparence plus ou moins calme. Dans les mesures régulières, le chef fait apercevoir une montée émotionnelle par les tutti des cordes bientôt rejoints par les cuivres d’abord graves puis aigus et par les timbales. Ces crescendi parfaitement en marche entraînent l’auditoire dans une narrativité alarmante, au pas de progression orchestrale qui vient inonder notre paysage intérieur, non pas seulement par la noirceur latente et flagrante que la partition renferme, mais aussi par l’éclat du son ouvert de la phalange parisienne. Peu sont capables de produire une telle image sonore.

Nous avons été témoins, ce soir, de cette rareté.

 

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CRITIQUE, concert. PARIS, Philharmonie, le 7 mars 2024. RACHMANINOV / CHOSTAKOVITCH. Orchestre de Paris / Yunchan Lim (piano) / Klaus Mäkelä (direction).

 

VIDEO : Semyon Bychkov dirige la 11ème Symphonie à la tête du WDR Orchester

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