Geneviève Thibault de Chambure (1902 – 1975) est à l’origine du mouvement « baroque » en France. Musicienne, universitaire, mécène, collectionneuse compulsive d’instruments précieux et de partitions rares, elle a mis son savoir et sa collection au service des interprètes et du public. Il y a quasiment un siècle, en 1926, elle créé la Société de musique d’autrefois (quel nom ravissant!) pour faire entendre ses instruments et les partitions oubliées depuis des lustres. C’est sous son haut patronage que toute la génération des premiers maîtres de l’interprétation historiquement informée ont pu se produire en France. Les Savall, Christie, Leonhardt ont été conviés à se produire dans son salon et à faire de chaque concert, la révélation de leur talent et de toutes les oeuvres dans leur couleurs originales. L’immense générosité de Mme de Chambure ne s’est pas bornée seulement aux artistes, toute sa collection est présente dans les collections du Musée de la Musique et sont accessibles à toutes et à tous.
La Société de musique d’autrefois…
Et un jour une femme…
Comme bien de bienfaitrices et bienfaiteurs souvent anonymes, Geneviève de Chambure est passée dans le temps comme un nom dans des notices et des plaques muséographiques. Grâce à l’initiative de William Christie et des Arts Florissants, deux concerts ont été accueillis par la Philharmonie de Paris en hommage à cette grande visionnaire qui a su faire entendre à nouveau les musiques de jadis et désormais pérenniser les expressions du baroque dans les arts vivants des XXe et XXIe siècles.
La première soirée a réuni trois des plus grands pionniers de la révolution baroque : William Christie, Jordi Savall et Christophe Coin. Comme quatrième larron de cet hommage, Justin Taylor fit merveille comme représentant de la nouvelle génération. La deuxième partie de cet hommage le surlendemain a réuni la belle énergie vocale et musicale des Arts Florissants.
Le 25 mai, l’amphithéâtre de la Cité de la Musique réunit une formation chambriste, tout d’abord à deux clavecins, avec William Christie et Justin Taylor et, en deuxième partie, les violes de Jordi Savall et Christophe Coin (basse de viole), accompagnés au clavecin par Justin Taylor encore une fois.
La synergie complice entre William Christie et Justin Taylor se fait entendre dans toute la première partie du concert avec la merveilleuse Suite en fa majeur de Gaspard Le Roux. Outre les danses ciselées avec entrain et précision, nous remarquons le soin apporté à faire entendre les instruments, dont notamment le mythique Ruckers de 1646, fleuron de la collection de Mme de Chambure. Les claviéristes Christie et Taylor ont plongé cette soirée dans une intimité contemplative. En « bis » de la première partie, la célèbre Ménetou de François Couperin exécutée avec onirisme et un brin de nostalgie dans ses volutes circonflexes. Une sorte d’invocation ouranienne à l’âme passionnée de « Ginette », le petit nom de la comtesse de Chambure. En deuxième partie, le lyrisme surhumain des violes sous les doigts de Jordi Savall et de Christophe Coin portent vers des horizons où la musique peut toucher au delà de l’âme. Le concert s’est fini avec un bis légendaire, un demi-siècle après leur rencontre, Jordi Savall, William Christie et Christophe Coin interprètent ensemble un beau morceau.
La suite de l’hommage, deux jours après, a réuni les forces vives des « Arts Flo » comme on les adore. Choeur, ensemble et William Christie à la baguette ont interprété des airs de cour, des extraits d’oeuvres de Purcell et l’Actus tragicus de Johann Sebastian Bach qui font référence à des programmes de la Société de musique d’autrefois. Si les airs de cour de Boësset, Lambert, Guédron et Le Camus sont toujours des sucreries à déguster, malgré leur poésie acidulée, c’est l’Actus tragicus qui a été une révélation pour la beauté de l’interprétation. A la fois rigoureuse et précise, la lecture des Arts Florissants dans ce répertoire, est délectable. Le plateau était composé des grands solistes réguliers de l’ensemble, telles que les fabuleuses Emmanuelle de Negri et Anna Reinhold, qu’on aime voir toujours dans des beaux projets et les non moins brillants Cyril Auvity et Lisandro Abadie.
Après ces deux soirées qui ont rendu un éloge plus que mérité à la comtesse Geneviève de Chambure, nous appelons de toutes nos forces les directrices et directeurs d’ensembles et de structures à commémorer en 2025, les 50 ans de sa disparition. Mme de Chambure a vécu de passion et de musique, et la musique lui doit le retour de ses voix originelles.
Photo : DR
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CRITIQUE, concert. PARIS, PHILHARMONIE, les 25 et 27 mai 2023. : Salon Geneviève de Chambure I et II, Christie, Savall, Coin, De Negri, Les Arts Florissants … William Christie. Grande photo : DR / Les Arts Florissants
