Pour accompagner la sortie de leur disque « Philarmonica » (chez Alpha Classics,) Le Consort offre à la Salle Cortot un concert sur le thème de « Grounds & Sonates anglaises », reprenant la thématique de la musique à Londres au tournant des XVIIe et XVIIIe siècle. C’est à travers trois figures de la musique anglaise de cette période charnière, Henry Purcell, Nicola Matteis et Mrs Philarmonica, que les quatre musiciens de l’ensemble Le Consort – Justin Taylor (clavecin), Théotime Langlois de Swarte et Sophie de Bardonnèche (violon) et Hanna Salzenstein (violoncelle) – présentent la richesse du baroque anglais, une subtile réunion de la polyphonie du temps passé et de la modernité française et italienne. L’alliance de la noblesse et élégance françaises caractérisées notamment par les Vingt-Quatre violons du Roy, et de la virtuosité italienne manifestée dans le répertoire du violon importée en particulier par le Napolitain Nicola Matteis, s’expriment sous le prisme de la mélancolie parfois très poussée, typique de la musique britannique de cette période.
Chaque concert de l’Ensemble Le Consort est un intense plaisir de musique. D’abord parce qu’on entend de belles musiques dans une interprétation de haute volée, ensuite parce que leurs programmes regorgent de curiosités et d’œuvres dénichées dans des archives de bibliothèques. Les musiciens insufflent une brise rafraîchissante à ces vieilles partitions jusqu’alors endormies, comme c’est le cas dans ce programme avec Nicolas Matteis, et surtout, la découverte de Mrs Philarmonica faite par Sophie de Bardonnèche. Pour partager la passion de la musique, chaque membre du Consort prend toujours parole au cours du concert, et à plusieurs reprises, tout cela dans une ambiance extrêmement amicale, car ils s’amusent visiblement en jouant, créant une proximité avec le public. Ce soir-là, de petites pièces se succèdent les unes aux autres, et sans annonce du titre à chaque fois, le public peine à suivre le programme. Pour remédier à cette situation assez complexe pour certains, Justin Taylor fait le point sur le déroulement du concert, comme s’ils parlaient à des amis : « Pour ceux qui sont perdus dans le programme, nous venons de jouer une telle pièce et nous allons continuer avec un tel morceau ! » Immédiatement, tout le monde se rassure avec un sourire !
Pour revenir au début la soirée, la première pièce, Queen’s Dolour de Purcell (pièce pour clavecin arrangée pour ensemble par Le Consort), donne un ton mélancolique, d’autant qu’on commence à entendre les premières notes derrière la porte de la scène par laquelle les musiciens entrent en jouant en procession. Suivent Maniera italiana et Andante Malinconico de Matteis, qui continuent dans le ton. Les œuvres de Matteis présentées ce soir sont toutes empreintes d’un lyrisme dont la vocalité est éloquemment exprimée par les deux violons magistraux. Pour Fantasia de Nicola Matteis Junior, Théotime Langlois de Swarte raconte avec beaucoup d’enthousiasme, avant de la jouer, l’histoire de la deuxième version, alors que la plupart dans la salle ne connaissent même pas la première… Mais peu importe, sa passion est partagée, et on prête l’oreille beaucoup plus attentivement à son interprétation virtuose, mais simple. Cette Fantasia introduit Adagio, Sarabanda Amorosa (affettuoso italien !) et Diverse Bizarrerie sopra la Vecchia Sarabanda o pur Ciaccona de Matteis (père), à la manière de pastiche de suite couramment pratiquée à l’époque. Quant à Mrs Philarmonica, dont la vie est totalement couverte de mystère, l’expressivité de sa musique sous une influence italienne très nette suscite un profond sentiment affectif. Parmi les pièces de Purcell, les jeux de nos musiciens font ressortir avec art une imitation de trompette dans le Trumpet Tune (arrangé par Le Consort) et la basse obstinée du fameux Ground (ici, en ré mineur). Tout au long du concert, le clavecin de Justin Taylor se distingue par une grande liberté de propos et des ornements raffinés. À la fin du concert, on ajoute des arrangements de Concerti grossi de Charles Avison, s’ouvrant vers la période pré-classique.
Le public leur offrant des applaudissements plus que nourris, des bis se succèdent, et les jeunes gens sur scène « se lâchent, car c’est le dernier concert de l’année ! » (dixit Théotime Langlois de Swarte), avec un arrangement de Douce nuit, sainte nuit.
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CRITIQUE. Concert. PARIS, Salle Cortot, le 12 décembre 2023. PURCELL / MATTEIS / Mrs PHILARMONICA. Ensemble Le Consort.
VIDEO : Le Consort interprète la Sonate en trio op 1 n°3 de Dandrieu