Quand le Théâtre du Châtelet retentit avec les voix légendaires, de Sarah Bernhardt à Barbara, leur énergie a nourri les teintures, les stucs et les marbres polis. Quand l’on franchit les portiques, nos pas semblent accompagnés par les échos des émotions que les solistes, comédiennes et chanteuses du passé, ont laissé au cœur de cette salle mythique. Cette ancienne forteresse des condamnés a troqué sa hiératique robe de pierre pour le foyer des cœurs éperdus, la fulgurance de l’esprit d’à propos et les fastes de l’opéra ou de la comédie musicale.
Alors arrive l’inénarrable Miss Knife pour invoquer les esprits qui peuplent le Châtelet et leur donner une voix aux accents pathétiques mais enivrants. Avec une gouaille canaille 2.0 et un accoutrement Dietrich-Liza-Gagaesque, Olivier Py campe son alter-ego avec résolution. Dans les mille et une voix de Miss Knife se bousculent Barbara, les égéries de Legrand / Demy, la sensuelle Gilda (Rita Hayworth) et même la bégueule Thérésa. Miss Knife épouse une tradition qui a rendu légendaire le Châtelet. D’un battement de cils, Miss Knife nous emmène dans le rivage où le cœur brisé est l’esquif qui vogue vers d’ineffables crépuscules.
Comme toute grande interprète, Miss Knife a une voix singulière. Puissante et complexe, vibrante dans les graves et précise dans les aigus, elle sait tirer au cœur sans rater sa cible. Elle est ce qu’on appelle en espagnol, “una gran dama de la canción”. Au piano et aussi en duo avec la diva, Antoni Sykopoulos est vibrant d’émotion, ses soli et sa chanson du vieux poète évoquent Anacréon qui voit danser la vie au loin en se livrant au fatal faux du trépas.
Le programme est un voyage dans la carte du tendre, des glaces saumâtres de la rupture aux mirages doux-amers de la rupture, et la résolution au naufrage dans le vertigineux vermeil de la passion. Chaque chanson composée par Olivier Py et Antoni Sykopoulos est un bijou de jais dont l’éclat charme et ensorcéle. Fascinante soirée qui perce le silence qui est l’oxygène unique des salles de spectacle, l’élément essentiel pour que l’art déverse son flot de merveilles.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Théâtre du Châtelet, le 12 novembre 2024 : « MISS KNIFE« . Olivier PY / Antoni Sykopoulos. Toutes les photos © Julien Benhamou.
VIDÉO : « Les Premiers Adieux de Miss Knife » (au Théâtre de la Criée à Marseille)