Après entre autres beaux accomplissements lors de cette édition 2025, tel le Requiem de Fauré dans une version rare et d’autant plus impressionnante sous la voûte des Dominicains, par le Quatuor Girard et l’ensemble récemment constitué Ô [créé, dirigé par Laetitia Corcelle / le 12 avril], le Festival de musique sacré de Perpignan retrouve ce soir un chef familier et son ensemble renommé, Paul Agnew et Les Arts Florissants.
Pas de musique française mais l’évocation très bien ficelée d’un événement qui dans le parcours de Jean Sébastien Bach s’avèra aussi imprévisible que décisif : les conditions de sa nomination comme Director Musices de Leipzig en 1723.
BATTLE BAROQUE À L’ARCHIPEL
En lice : 3 compositeurs et 1 génie…
Photo © Michel Aguilar
En choisissant de jouer Kuhnau, Telemann puis Graupner, Paul Agnew et son équipe savent très habilement éclairer le génie de BACH l’inclassable ; à l’occasion des événements de 1723, quand Jean-Sebastian auditionne pour le poste de directeur musical de Leipzig [soit pour fournir la musique liturgique des églises de la ville, particulièrement de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas… entre autres obligations contractuelles], Les Arts Florissants renseignent le contexte musical au moment où Bach finira par être nommé. En réalité il doit de l’emporter non par son talent musical mais à la faveur d’une série de circonstances où ses » rivaux », mieux reconnus, mieux estimés : Telemann et Graupner, se désistent finalement en préférant rejoindre une autre ville : le premier ira à Hambourg et le second à Darmstadt… Ne restait plus que BACH, dernier choix mais seul en lice, donc choisi (!).
En effectif resserré mais expressif et contrasté, les Arts Flo relèvent le défi de ce programme historique et circonstanciel, en révélant la particularité de chaque écriture. Distribué en deux chœurs de 4 solistes chacun, voix aigus à jardin, voix graves à cour, les chanteurs expriment ce dramatisme sensible de TELEMANN, puis la piété pastorale de JOHANN KUHNAU qui fut donc directeur musical jusqu’à sa mort en 1722. C’est bien son successeur que le jury mandaté par la Ville doit désigner…
En jouant la première cantate de BACH pour cette audition [Du wahrer Gott Und Davids Sohn], le sens architectural et cette couleur de la gravité qui sait néanmoins déployer une langueur inédite, surclassent immédiatement BACH de ses confrères. Le sentiment de compassion pour Jésus y rayonne dès le duetto soprano / alto [« Toi vrai Dieu, fils de David »]: alto somptueux autant que d’une expressivité ciselée, Paul-Antoine Benos-Djian s’y distingue nettement : timbre melliflu, éloquence habitée, d’une rare onctuosité tragique. Et le choral final enchaîné au coro insuffle à l’écriture musicale un élan spirituel gorgé d’espérance qui emporte l’auditeur par sa hauteur de vue.
Quel contraste avec CHRISTOPH GRAUPNER abordé au début de la 2ème partie : l’art musical y est divers et raffiné, virtuose même, empruntant des effets et une volubilité vocale… à l’opéra. » Aus der tiefen rufen wir » enchaîne les recitatifs accompagnés pour ténor, soprano, basse… véritable conversation aussi aimable qu’enjouée, comme un final d’opéra.
Enfin la consécration sonore se réalise pleinement dans la 2ème cantate que Bach écrit pour cette audition : » Jesus nahm au sich die Zwolfe und sprach » / Jesus prit avec lui les Douze, et leur dit… Musicalement, Jean-Sébastien exprime dans une fugue hallucinante la surprise panique des Apôtres après que Jésus leur ai dit sa mort puis sa résurrection après 3 jours… Les 8 chanteurs, tous solistes inspirés, donnent alors le meilleur d’eux mêmes dans une séquence qui saisit immédiatement par sa franchise poétique, sa fulgurance expressive. Paul-Antoine Benos-Djian chante ensuite l’air de déploration et là encore de compassion pour Jésus, avec une intensité remarquable, aussi sobre que juste [ » Mein Jesu, ziehe mich nach die / Mon Jesus appelle-moi à Toi… »]
En peu d’effets et beaucoup d’art, BACH réalise une prouesse indiscutable par l’éloquence syllabique de ses recitatifs, par l’ampleur poétique qui illumine le texte, par sa carrure rythmique, la couleur aussi du hautbois qui associé aux autres instruments du continuo, produit un tapis flexible et allant, particulièrement fervent.
En maître de cérémonie jouant avec les mots comme il le fait des musiciens sous sa coupe, Paul Agnew excelle dans une présentation des œuvres et de leur contexte. Le chef [et ancien ténor] suggère, explicite sans emphase érudite, l’enjeu de cette joute de 1723. Pour nous, Bach supplante ses rivaux, mais l’art du maestro ce soir, nous révèle qu’il n’en était rien alors. Le seul rappel de ces événements souligne combien une carrière est fragile, et sa considération immédiate, subjective. Mais le génie musical du plus grand parmi les Baroques s’est bien révélé avec le temps, dans toute la puissance et la sensibilité de sa vérité. Le dernier choral « Ertot uns Dutch dein Gute », joué puis repris à un tempo des plus vifs, rayonne d’une joie collective irrépressible, tout à fait opportune à quelques jours du Lundi de Pâques, sa jubilation finale, salvatrice, lumineuse.
Photo © Michel Aguilar
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CRITIQUE, concert. PERPIGNAN, l’Archipel, le 15 avril 2025. La grande audition de Leipzig, Miriam Allan, Paul-Antoine Benos-Djian, Cyril Auvity, Benoît Descamps,… Les Arts Florissants, Paul Agnew [direction]