mardi 8 avril 2025

CRITIQUE, danse. ANVERS, Opéra des Flandres, le 5 avril 2025. PROKOFIEV : Roméo et Juliette. Marcos Morau / Gavin Sutherland

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Plus grande compagnie de danse de Belgique, le Ballet des Flandres poursuit sa collaboration avec les chorégraphes majeurs de son temps, de Sidi Larbi Cherkaoui à Anna-Teresa de Keersmaeker, en passant par Akram Khan. Place cette fois au trublion catalan Marcos Morau (né en 1982), qui peine à donner un contenu porteur de sens à son spectacle, mais émerveille par son imagination visuelle d’une modernité toujours fascinante dans l’imbrication improbable des corps entremêlés.

 

Formé à Barcelone où il dirige sa propre compagnie « La Veronal« , Marcos Morau a multiplié les récompenses prestigieuses, du Prix national de la danse en Espagne au titre de «Chorégraphe de l’année» décerné par le magazine allemand Tanz, l’an passé. Invité à l’Opéra de Lyon en 2022, il a proposé une adaptation pour le moins controversée de l’un des chefs d’oeuvre du répertoire, La Belle au bois dormant de Tchaïkovski : en réduisant l’ouvrage de moitié, Morau s’était permis de supprimer l’histoire originale et d’y adjoindre de (trop) nombreux bruitages électroniques. Ces derniers sont encore présents ici, entre prédominance du synthétiseur et basses assourdissantes, mais sont heureusement plus limités. Ces interruptions répétitives et anxiogènes apparaissent bien inutiles et prévisibles sur la durée, sans parvenir à faire oublier les regrettables coupures opérées sur la musique originale. Le choix de ne pas raconter l’histoire de Roméo et Juliette est également contestable, tant Morau peine à proposer une alternative lisible, se contentant de multiplier les scènes d’humiliation et de violence, sans dramaturgie élaborée. C’est là le principal écueil du spectacle, une nouvelle fois.

On a beau se reporter au programme pour tenter de trouver un sens, l’effort est vain. On n’y trouve qu’un glossaire accumulant les raccourcis en forme d’images d’Epinal, censé guider le spectateur dans le cauchemar proposé. Il faut donc lâcher prise de ce point de vue pour pleinement apprécier le spectacle, aux qualités plastiques bien réelles. Morau a ainsi l’idée de nous plonger dans un décor et des costumes en noir et blanc d’une beauté intemporelle, en renouvelant les cadrages au gré de l’évolution des courtes saynètes finement ciselées par Prokofiev. La pénombre envoûtante permet de distinguer les corps virevoltant en des gestes souvent saccadés, jouant sur les mouvements des bras et de la tête, à rebours d’une vision classique de la danse. Les costumes permettent de rompre avec les repères habituels entre les sexes (les hommes étant souvent affublés de robes), tandis que la coloration générale sombre ne cherche pas à distinguer les deux camps en présence, entre Capulet et Montaigu. L’ajout de deux personnages juvéniles reste énigmatique, au-delà d’une vision convenue de l’innocence prêtée à l’enfance, sans lien avec le destin de Roméo et Juliette. Outre plusieurs cris, les danseurs se prêtent souvent à des rires obsessionnels, là aussi incompréhensibles au niveau dramaturgique, et finalement agaçants. Les images de rituels ou de rites d’initiation autour d’un immense brasier sont plus réussies, à l’instar des mouvements autour du podium et du plateau tournant, mêlées à une utilisation astucieuse des costumes (notamment les grandes robes rigides cachant les pieds).

On ressort de ce spectacle avec la sensation d’avoir assisté à une proposition d’une modernité frappante au niveau visuel, mais qui s’en tient là, sans s’intéresser au fond. Puisse Morau enfin s’intéresser au sens, au-delà de quelques vignettes aussi superbes que superficielles, bien éloignées des grands mythes auxquels il ose se confronter. Reste l’exécution proprement dite au niveau chorégraphique, en tout point remarquable de cohésion, et d’autant plus impressionnante qu’elle demande un engagement physique de chaque instant, où le groupe ne semble parfois plus faire qu’un. L’autre motif de satisfaction vient de la direction musicale du chef britannique Gavin Sutherland (né en 1972), très attentif à la narration, qui porte le drame de toute sa classe interprétative.

 

 

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CRITIQUE, danse. ANVERS, Opéra des Flandres, le 5 avril 2025. PROKOFIEV : Roméo + Juliet. Danseurs et Orchestre symphonique de l’Opéra des Flandres. Gavin Sutherland (direction musicale) / Marcos Morau (chorégraphie). A l’affiche de l’Opéra des Flandres, du 15 au 27 mars à Gand, du 3 au 12 avril à Anvers, puis à l’Opéra de Lille les 14 et 15 juin 2025. Photo : Opera Ballet Vlaanderen / Danny Willems. Crédit photographique © Annemie Augustjins

 

 

VIDEO : Trailer du spectacle

 

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