mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, 11ème festival de Pâques, Grand-Théâtre de Provence, le 3 avril 2024. SCHUBERT : Sonates D. 850 & D. 960. Elisabeth Leonskaja (piano).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Après un dixième anniversaire célébré en grandes pompes, la onzième éditions apparaît encore plus éblouissante et fastueuse que la précédente, avec une myriades de solistes prestigieux et de phalanges internationales, ce dont nous avons été directement témoins les trois jours où nous sommes restés à cette 11ème édition du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence.

 

 

Le premier soir, c’est une légende du piano que le duo Renaud Capuçon / Dominique Bluzet, les co-directeurs de la manifestation provençale, invitait l’immense pianiste russo-autrichienne Elisabeth Leonskaja (née en 1945 à Tbilissi en Géorgie). Avançant à pas décidés vers son Steinway, et à peine assise, qu’elle se met à jouer avec l’énergie et la conviction qu’on lui connaît. Elle débute par la Sonate D. 850 (dite “Gasteiner”), se montrant d’emblée toujours aussi souveraine quand il s’agit de mettre en valeur l’essentiel d’une architecture musicale. Tout au long de ces divines longueurs (il y en aura quelques-unes dans ce double parcours de 45 minutes chacun, même les schubertiens enthousiastes dont nous faisons partie ne pourront le nier…), on pourra admirer à l’envi ce sens inné des équilibres, ce balisage de l’écoute par des repères clairement audibles, cette dramatisation parfois saisissantes des moments forts et aussi cet aplanissement intentionnel de passages d’un moindre intérêt stratégique. Ici le piano, en tant qu’instrument de démonstration technique, se ferait presque oublier, s’effaçant devant le seul discours musical, une espèce de grande arche qui va du début à la fin de chaque mouvement, se tend dès les toutes premières notes pour ne plus nous lâcher jusqu’au dernier accord. Première immense émotion…

En abordant la dernière Sonate D. 960, la seconde partie de soirée prend nécessairement une tonalité méditative et plus sombre. Composée au cours des derniers mois de la vie du compositeur (au même moment que les deux qui la précède, les Sonates D. 958 et D. 959), après la mort libératrice de son maître à penser que fut Beethoven, ces œuvres ultimes ont de facto des allures de testament. Et c’est justement le recueillement qui prime dans le jeu d’Elisabeth Leonskaja. Son interprétation fait apercevoir les regrets de l’existence aussi bien que les quelques moments de douceur encore récoltés mais vite estompés. Cet incessant aller-retour entre la conviction de la fin et une pulsion de vie incessante des deux Sonates D.958 et D.959 laisse dans la dernière de plus en plus la place à la résignation face au destin et à son accomplissement funèbre. Sous ses doigts, l’Andante chante éperdument. Bouleversant de pudeur, Leonskaja semble dialoguer avec l’inframonde et le monde des Cieux. Le Scherzo et l’Allegro ma non troppo final nous ramènent à la vie, avec cette tendresse, ce lyrisme, cet élan vital que l’on admire depuis le début, et lorsque la dernière note s’éteint, personne dans la salle n’ose rompre l’enchantement en applaudissant, et ces longues secondes de recueillement et d’admiration mêlés sont comme un moment d’éternité. Mais un enthousiasme qui ne peut plus se contenir plus longtemps finit par rompre le charme, et ce sont deux bis qu’elle accordera à son public, abordant un autre univers de prédilection de cette grande Dame du piano, celui de Claude Debussy, avec un Feux d’artifices éblouissant de virtuosité puis La plus que lente, qui ne manque pas de toucher en plein coeur par sa délicatesse, sa fluidité et son mystère. Nouveau moment d’éternité…

 

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CRITIQUE, festival. AIX-EN-PROVENCE, 11ème festival de Pâques, Grand-Théâtre de Provence, le 3 avril 2024. SCHUBERT : Sonates D. 850 & D. 960. Elisabeth Leonskaja (piano). Photos (c) Caroline Doutre.

 

VIDEO : Elisabeth Leonskaja interprète l’Andantino de la Sonate D.959 de Franz Schubert

 

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