mardi 22 avril 2025

CRITIQUE, festival. BAD WILDBAD (Allemagne), 35ème « Rossini in Wildbad – Belcanto Opera Festival » (Kurtheater), le 28 juillet 2024. ROSSINI : L’Italiana in Algeri. P. Anikina, D. Özkan, H. Kim, F. Bossi… Jochen Schönleber / José Miguel Pérez-Sierra.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Au lendemain d’une savoureuse représentation du facétieux Comte Ory, dans le cadre du “Rossini in Wildbad – Belcanto Opera Festival”, c’est à une Italienne à Alger non moins drolatique et réussie que nous avons eu la chance d’assister, dans le bel écrin du Kurtheater (200 places) – autrement agréable pour les yeux comme pour les oreilles que le disgracieux et malsonnant Trinkhalle voisin, malheureusement beaucoup plus utilisé car on peut y accueillir deux fois plus de spectateurs…

 

 

Comme la veille, et pour tout spectacle donné en version scénique, c’est à nouveau le maître des lieux Jochen Schönleber qui se colle à la mise en scène, avec tout autant d’humour et de réussite que la veille. L’exiguïté des lieux permet encore moins la mise en place d’une scénographie lourde, et c’est avec “trois bouts de ficelle” que l’homme de théâtre allemand donne vie à cette “Italienne” qu’il transpose en Afrique du Nord pendant un Paris/Dakar auquel participe Isabella, mais qui tombe en rade en pleine course (mais dans une ville…) au volant de sa Fiat aux couleurs de l’Italie. Mustapha tient un Döner Kebap dans le coin, et il recueille la naufragée dont il tombe raide dingue à l’instant. Si ce n’est la lettre, l’esprit est conservé, et les gags filent bon train, dont le ballet des broches et autres hachoirs dans les mains de Haly et du chœur pendant la scène de menace d’empalement de Taddeo !

Les chanteurs réunis ici sont en grande partie ceux des jeunes talents de l’Académie BelCanto du Festival Rossini in Bad Wildbad (cette année dirigée par la légende du chant rossinien qu’est Raul Gimenez !), où ils peuvent développer leur potentiel vocal avec les parties vertigineuses et rapides dont est truffé l’opéra bouffe. Tous se coulent dans ce rythme haletant sans failles et sans défaillances, du premier au dernier. En Haly haletant, persécuté par le maître, Francesco Bossi, jeune baryton italien, est l’une de nos meilleures découvertes, tant l’acteur est incroyable, et la voix superbement projetée et timbrée. En barbon berné, Emmanuel Franco campe un Taddeo au superbe timbre, voix large et agile, doublé d’un jeu d’une grande drôlerie également. Mais c’est la basse Turque Dogukan Özkan qui est la révélation du spectacle, incarnant un Mustafa infatué, inénarrable dans le jeu et le chant : il se tire avec aisance des diaboliques staccati volubiles et virtuoses du rôle ; sans esbroufe, il s’ébroue dans les trilles, grimace dans le son sans préjudice de la musique. Il est le tyran content de l’être, redoutable et ingénu. En Lindoro, le ténor coréen Hyunduk Kim possède la grâce rossinienne dans la voix et l’agilité, deux qualités qui lui permettent un parfait « Languir per una bella », avec tout le moelleux requis dans les aigus de son grand air. 

Malgré le rôle trop bref de Zulma, la mezzo espagnole Camilla Carol Farias laisse percevoir la beauté d’un timbre prometteur. Quant à la soprano ukrainienne Oksana Vakula, elle est une belle Elvira, exaspérée, désespérée et touchante même dans son hystérie de femme soumise au caprice de l’homme : sous le voile bouffe, le drame. La ruse étant l’arme des faibles, Isabella sera une justicière des femmes en payant l’homme de sa pièce : elle est campée, pimpante, piquante, coquine, taquine, câline, sensuelle, à croquer par la mezzo russe Polina Anikina, plastique de rêve dont elle joue, en plus d’une voix voluptueuse de velours, ronde, profonde, charnue, égale sur tous ses registres, aux aigus éclatants. Les vocalises les plus acrobatiques de Rossini, elle donne perlées, détachées par le staccato, avec une précision et une musicalité admirables. 

En fosse, dès la fameuse ouverture, ces sortes de pas de loup feutrés qu’on croirait d’une anticipation de malicieuse musique de dessin animé, ponctués fermement, à peine interrompus par la ligne voluptueuse de la clarinette, avant que le crescendo, l’accélération vive, nerveuse, rieuse, qui deviendra l’un des traits typiques de Monsieur « vaccarmini », ne s’empare en fièvre grandissante de l’orchestre, course, cavalcade, galop effréné, on sent que le chef espagnol José Miguel Pérez-Sierra – à la tête de l’Orchestre Szymanowski de Cracovie (présent en fosse pour toutes les concerts ou représentations avec orchestre du festival) – tient sa baguette comme une cravache, chevauche en maître cette musique menée à un train d’enfer : sans temps mort, mais tendre et voluptueux dans les airs amoureux ; enjoué, vif, le tempo est d’une vitalité exaltante, électrique et dynamique. Sur un nappage de cordes transparentes, il pointe les piccolos pépiants, flûtes futées et affûtées, tout l’humour piquant de Rossini en somme, avec une netteté de dessin, ciselé, et un sens de la dynamique pétaradant et trépidant : tout est là dans sa légèreté juvénile et vivifiante.

Bravi tutti !

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CRITIQUE, festival. BAD WILDBAD, 35ème « Rossini in Wildbad – Belcanto Opera Festival » (Trinkhalle), le 28 juillet 2024. ROSSINI : L’Italiana in Algeri. P. Anikina, D. Özkan, H. Kim, F. Bossi… Jochen Schönleber / José Miguel Pérez-Sierra. Photos (c) Patrick Pfeiffer.

 

VIDEO : William Matteuzzi chante l’air « Languir per una bella » extrait de « L’Italienne à Alger » de Rossini

 

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