Le Festival de Radio France Occitanie Montpellier s’est ouvert ce dimanche 8 juillet avec un grand concert de plein air (Place de l’Europe), avec l’Orchestre National Montpellier Occitanie dirigé par la jeune cheffe Chloé Dufresne. Le lendemain (à l’Opéra Berlioz), c’est le violoniste virtuose Renaud Capuçon qui dialoguait avec la fameuse phalange Les Siècles (jouant sur instruments d’époque), placée sous la baguette de Louis Langrée, dans un programme de musique française du tournant du siècle dernier.
La première partie est composée de raretés, et commence même par la création mondiale d’une œuvre de Maurice Ravel, « Amants qui suivez le chemin » (ca. 1902-1905). Le manuscrit de 18 pages est monogrammé à deux reprises, mais n’est pas signé. Retrouvé par un particulier en 2000, et passé inaperçu jusqu’à sa mise en vente par une librairie spécialisée dans les autographes en 2023, il fut – à ce moment – acheté par la Bibliothèque Nationale. Ce genre de cantate, pièce pour chœur et petit orchestre est tout à fait typique des exercices demandés pour obtenir le Prix de Rome : Ravel avait alors moins d’une trentaine d’années. On constate dans un passage précis et on ressent sur l’ensemble des couleurs de l’orchestre des similitudes avec Sirènes de Claude Debussy – que Ravel transcrit pour deux pianos à la même époque.
Le Chœur de Radio France, préparé avec beaucoup de subtilité par Lionel Sow, envoûte immédiatement. Sa diction claire et précise nous livre avec douceur le texte délicieusement désuet d’Armand Sylvestre. Les nuances entre les différents pupitres sont maîtrisées avec une perfection subjuguante. Un court solo de soprano couronne ce triomphe avec chaleur et justesse. L’orchestre Les Siècles, au son notablement fin et élégant, se fait ici discret derrière un chœur décidément moteur. Le Thème varié pour violon et orchestre Op.15 de Charlotte Sohy qui suit est interprété avec beaucoup d’intensité par Renaud Capuçon, mais cette partition s’avère somme toute assez « plate » par rapport à celle de Ravel. Le virtuose français, en véritable « Gene Kelly du violon » (il est souvent en équilibre sur un pied), donne une dimension quasi cinématographique à une pièce au caractère très français, avec un jeu toujours « très à la corde » et un vibrato puissant. Il enchaîne avec le premier mouvement du Concerto pour violon (demeuré inachevé) de Gabriel Fauré, qui rétablit l’équilibre entre le soliste et l’orchestre. Toujours à la corde, le son de Renaud Capuçon se fait encore plus brillant. Malgré la perfection technique, l’interprétation apparaît un rien « sucrée », et manque quelque peu de simplicité et aussi d’une certaine pudeur : cela crée un décalage sentimental avec un orchestre moteur, aussi élégant qu’à son habitude. En guise de bis, Renaud Capuçon met un rayon de soleil doux dans le vaste vaisseau montpelliérain, avec une interprétation de l’Etude de Daphné de Richard Strauss, petite pièce pour violon seul, d’une beauté simple et lumineuse, interprétée ici sans l’emphase entendue précédemment. Un magnifique moment de douceur pour se remettre de la fougue de la cadence du concerto de Fauré.
Après l’entracte, trêve de raretés et place à deux pages célèbres de Maurice Ravel : Ma mère l’Oye (1910) et la Deuxième suite de Daphnis et Chloé. Les Siècles y sont une fois de plus remarquables, les vents notamment, et plus encore le pupitre de trompettes qui fait montre d’une finesse rare. De manière générale, on ressent que l’orchestre (encore une fois moteur….) pousse un Louis Langrée trop tranquille. De ce « désaccord » s’est formée une interprétation mesurée entre une direction calme et maîtrisée et un orchestre superbement fougueux. Les musiciens se montrent plein d’humour, particulièrement dans Laideronesse, impératrice des pagodes (et son remarquable solo de flûte), avec des jeux de textures précis et propres aux Siècles. Daphnis et Chloé est un classique de l’orchestre sur instruments d’époque, depuis sa création, dans lequel il se montre aussi élégant que narratif, culminant dans une grandiose Danse générale.
Conquis, le public fait un triomphe debout aux quelques deux cents artistes réunis sur le plateau de l’Opéra Berlioz – qui reprennent alors le finale de la Danse générale, cette explosion de joie débordante et débridée, qui renouvelle une nouvelle fois l’enthousiasme du public.
____________________________________________
CRITIQUE, festival. MONTPELLIER, 44ème Festival de Radio France Occitanie Montpellier, le 9 juillet 2024. RAVEL / SOHY / FAURE. Renaud Capuçon (violon), Orchestre Les Siècles, Louis Langrée (direction). Photos (c) Luc Jennepin & DR.
VIDEO : Alain Altinoglu dirige la « Deuxième Suite de Daphnis et Chloé » de Maurice Ravel