Reprise d’une mise en scène étrennée à l’Opéra de Monte-Carlo, le travail de Jean-Louis Grinda sur cette production d’Il Turco in Italia balaie tous les poncifs qui reviennent chaque fois qu’il est question de l’ouvrage – pour nous entraîner dans le tourbillon d’un véritable opéra bouffe. Le poète Prosdocimo n’est pas ici l’intellectuel de service, regardant l’action par le petit bout de la lorgnette, mais un personnage à part entière, pris dans les remous d’une intrigue qu’il a imaginée et dont il se régale. La scène initiale donne le ton : pendant que résonne l’Ouverture, un film en noir et blanc signé de Gabriel Grinda et Julien Soulier, expose le couple mal assorti que forment Don Geronio et Fiorilla ; ils s’y écharpent dans une inénarrable scène de ménage, les assiettes volant ici comme des soucoupes volantes ! D’autres créations vidéo émailleront le spectacle, notamment lors de la scène finale qui montre, cette fois en couleur, l’éruption du volcan Etna, tandis que des feux d’artifice en rajoutent dans le côté festif et coloré. La scénographie du fidèle Rudy Sabounghy, soutenue par les lumières toujours savantes de Laurent Castaingt, représente les coulisses d’un théâtre d’où peut émerger le bateau de Sélim voguant sur des flots bleus simplement symbolisés par de grands draps azurés, grâce à tout un système de rideaux et de toiles peintes. Les somptueux costumes de Jorge Lara sont un régal pour la rétine, et l’on se délecte à en admirer tous les détails rutilants et chamarrés. L’on retiendra aussi l’excellente idée des deux passerelles qui longent la fosse et permettent aux chanteurs, à certains moments-clés, d’intervenir au plus près du public, pour une intense communion artistique.
Succédant à Cecilia Bartoli, la jeune soprano roumaine Florin Ilie n’a vraiment pas à rougir face à son illustre consœur : capable de toutes les coloratures, à l’aise dans les aigus les plus délicats, mais aussi ronde de timbre, impériale dans la projection et, qui plus est, excellente et séduisante actrice. Voilà une chanteuse dont on entendra reparler, et on languit déjà de l’entendre dans le rôle de Marguerite de Valois (Les Huguenots) à l’Opéra de Marseille en juin prochain. De son côté, la basse italienne Guido Loconsolo (pour Mirco Palazzi initialement annoncé) campe un Selim de fière allure, avec sa haute stature et sa voix aussi grave que tonitruante, saine et tranchante, et, scéniquement parlant, il s’accommode fort bien des fanfaronnades de son personnage. Déjà présent à Monaco, le baryton italien Giovanni Romeo fait preuve d’un présence scénique affirmée et d’une voix épanouie, dans la partie pirandellienne de Prosdocimo, le poète manipulateur. Son compatriote Gabriele Ribis, malgré un registre grave un peu sourd, campe un efficace Don Geronio, plein d’ardeur et d’une vraie drôlerie. Succès également pour le ténor franco-congolais Patrick Kabongo qui confirme avec son Don Narciso qu’il est l‘un des meilleurs ténors rossiniens du moment. Virtuose émérite, il décoche ses vocalises comme autant de flèches acérées (percutant « Tu seconda il mio disegno »). Le ténor malgache Blaise Rantoanina et la mezzo italienne José Maria Lo Monaco s’illustrent avec beaucoup de présence scénique et de panache vocal dans leurs rôles respectifs d’Albazar et Zaida. Présent, complice, et fluide dans ses interventions, le chœur de l’Opéra Grand Avignon n’appelle que des louanges.
En fosse, le chef brésilien Miguel Campos Neto tire le meilleur d’un Orchestre National Avignon-Provence en grande forme, par sa direction très précise qui confère à l’ensemble du spectacle : dynamisme, jolies couleurs et une tendresse toute mozartienne.
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CRITIQUE, opéra. AVIGNON, le 3 mars 2023. Florina Ilie, G. Loconsolo, P. Kabongo… J.L. Grinda / M. Campos Neto. Photos © Cédric Delestrade.
TEASER VIDÉO
Cecilia Bartoli chante dans « Il Turco in Italia » / mise en scène de Jean-Louis Grinda à l’Opéra de Monte-Carlo