jeudi 4 juillet 2024

CRITIQUE, opéra. AVIGNON, opéra, le 11 juin 2023. SAINT-SAËNS : Samson et Dalila. M. Laho, M. Gautrot, N.Cavallier… P. Azorin / N. Krüger. 

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

C’est à une proposition “radicale” que le metteur en scène espagnol Paco Azorin convie le public de l’Opéra Grand Avignon, pour ces deux représentations données à guichets fermés de “Samson et Dalila” de Camille Saint-Saëns.

 

Il transpose un effet l’épisode biblique où s’affrontent Hébreux et Philistins dans la Gaza contemporaine, en pleine période de conflit israélo-palestinien, horreurs et exactions à la clé. Rien ne nous est épargné ici, jusqu’à une traumatisante scène de décapitation de prisonniers à l’issue de la célèbre “Bacchanale”, tandis qu’une courageuse reporter (Charlotte Adrien), caméra à l’épaule, est l’impuissante témoin des carnages perpétrés.

L’essentiel de la scénographie (conçue par Azorin lui-même) repose sur de grandes lettres ensanglantées formant le mot ISRAEL, tandis que les éclairages savants de Pedro Yague participent au dramatisme de l’action, également soutenu par les vidéos édifiantes et/ou esthétisantes de Pedro Chamizo, passant de prosaïques images de destructions à celle, stylisée, d’un grand et poétique soleil noir sur un fond rougeoyant.
Autre spécificité de cette production, et pas des moindres, les chœurs sont ici renforcés par la présence de nombreux figurants de la société civile : des personnes à mobilité réduite (dont quatre sont en fauteuil roulant), d’un groupe d’entraide mutuelle, d’un centre de réhabilitation psychosocial, de nombreux enfants et autres amateurs – tout cela dans le cadre de l’opération “Opéra Citoyen”, une action que l’on ne peut que saluer !

 

 

Somptueux Samson et Dalila à Avignon

 

 

 

 

Le plateau vocal, 100 % francophone réuni par Frédéric Roels à Avignon convainc, à commencer par le ténor wallon Marc Laho. Quel chemin parcouru depuis que nous l’avons découvert, sur cette même scène à la fin des années 90, dans le rôle d’Arturo des “ Puritani ” de Bellini (aux côtés d’Annick Massis). En 25 ans, le chanteur a suivi l’évolution naturelle de sa voix, passant de la tessiture de tenorino rossino / mozartien à celui de ténor héroïque, voix qu’appelle le redoutable rôle-titre. Et c’est un Samson à tout épreuve qu’il campe en cette matinée de deuxième et dernière représentation, capable de maîtriser la tessiture meurtrière de son personnage de bout en bout sans l’ombre d’une fatigue. Le timbre, toujours aussi immédiatement reconnaissable, même s’il s’est densifié, est projeté avec insolence tandis que la diction s’avère un modèle du genre. Le sublime air de la meule, phrasé avec beaucoup de nuances et des accents qui traduisent toute la souffrance intérieure du héros, émeut profondément.
La mezzo française Marie Gautrot (Dalila) – applaudie le mois dernier dans le rôle-titre de “La Nonne sanglante” (de Gounod) ) à l’Opéra de Saint-Etienne, séduit dès le fameux air « Printemps qui commence », chanté avec un magnifique sens du phrasé et une alternance piano / forte bienvenue. Sa voix au timbre corsé, d’une palette très variée, possède également toute la projection nécessaire dans « Samson recherchant ma présence », et dans le duo avec le Grand Prêtre, où Saint-Saëns a bien appris la leçon de l’affrontement entre Ortrud et Telramund (Tannhaüser de Wagner), et dans lequel Gautrot fait preuve de ce mordant, et surtout de cette autorité rageuse et âpre, que toute (bonne) Dalila se doit de délivrer. S’il fallait émettre un bémol, c’est que sa voix est en revanche moins “calibrée” pour parer le sublime « Mon cœur s’ouvre à ta voix » de toute la sensualité et la beauté / douceur d’accents qu’il requiert.

Aux côtés du ténor, la meilleure satisfaction de la matinée survient du Grand prêtre de Dagon de Nicolas Cavallier, impressionnant d’autorité et de projection vocale, exemplaire de diction. La basse afro-française Jacques-Greg Belobo confère noblesse et dignité au Vieillard hébreux dans la prière du premier acte, grâce à son assurance tranquille et à son legato parfait, tandis que le baryton Eric Martin-Bonnet fait un sort à ses courtes interventions. Et saluons, enfin, les chœurs conjugués des Opéras d’Avignon et de Toulon, dont l’éclat et la force de conviction suscitent l’admiration.

En fosse, le fougueux chef français Nicolas Krüger obtient de magnifiques sonorités de l‘Orchestre National Avignon-Provence dans une forme olympique, ce qui se traduit par une superbe caractérisation des différents climats et un formidable impact dramatique. Les deux tubes orchestraux que sont “La Danse des prêtresses” et la “Bacchanale” bénéficient de tout le raffinement, la sensualité, l’exotisme orientalisant qu’on en attend, et l’on ne peut qu’applaudir à deux mains à ce formidable exploit d’un orchestre  véritablement chauffée à blanc, qui mérite pleinement son récent label de “National” !

 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. AVIGNON, opéra, le 11 juin 2023. SAINT-SAËNS : Samson et Dalila. M. Laho, M. Gautrot, N.Cavallier… P. Azorin / N. Krüger. Photos © Mickaël et Cédric – Studio Delestrade

 

 

 

VIDÉO : Elina Garanca chante “Mon coeur s’ouvre à ta voix” dans “Samson et Dalila” au MET (2019) :

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