Autant dire que la gloire posthume de Bayreuth n’est pas hélas une légende… gloire perdue pour combien de temps ? Pourtant après tant de déceptions répétées, de mises en scènes confuses d’édition en édition, voici un Tristan inespéré qui sauve la mise, d’autant plus cette année de déroutes manifestes dans le choix des mises en scènes plus confuses que les précédentes (cf le Ring actuel désastreux de Valentin Schwarz)
Le prestige du festival wagnérien sur la colline verte à sérieusement décliné sur le plan et scénographique et sur le plan musicale [vocal comme orchestral, ce qui est plus inquiétant] et c’est à présent loin du lieu historique pourtant légitime qu’il faut aller chercher et trouver les propositions les plus intéressantes s’agissant du théâtre wagnérien. Voyez ainsi le cycle dirigé par Kent Nagano œuvrant pour un Wagner enfin dépoussiéré historiquement informé, réalisé depuis mars 2023, repris cet été pour un tournez événement qui malheureusement ne passera pas en France étonnant me lacune si l’on dénombre les multiples associations Wagner et les partisans dans l’Hexagone. De même il reste étonnant que ce cule Wagner régénère ne passe pas par l’opéra de Leipzig, la ville natale du grand Richard.
Tristan étoilé, onirique de Roland Schwab
Rare réussite à Bayreuth 2023
Voici donc l’une des dernières propositions à Bayreuth ce Tristan sans fatras scénographique détourné ni relecture décalée parasitée par une surenchère d’effets vidéos. Rien de tel dans ce Tristan dont le mérite est dans l’absence de relecture théâtreuse et absconde justement.
Le metteur en scène Roland Schwab, déjà vu l’année dernière, confirme d’évidentes qualités ; il ajoute seulement au livret de Wagner un couple dont on suit l’avancée en âge, de jeunes enfants attendris le temps du prélude, devenus vieillards tout aussi aimants à la fin…. Une célébration des amours long terme sans histoires, un peu lisse… Exit toute idée d’urgence passionnelle, de tourments du désir fusionnel, de trahison, d’hypnose magnétique enchaînant 2 êtres… mais le vertige se produit dans cette fusion bien calibrée de la vidéo et de la direction d’acteurs, sobre, équilibrée, qui exprime l’opéra de Wagner pour ce qu’il est : moins action et intrigue … que réflexion et interrogation sur le mystère amoureux.
Partisan et même pèlerin de l’infini de l’amour, Schwab dépouille action et décor, sculpte les corps dans un clair obscur savant, plutôt esthétique où les amants maudits s’enlisent sur les planches et n’aspirent qu’à rejoindre le monde supérieur, aussi convoité qu’inatteignable. Les vertiges du désir, cette force irrépressibles qui les porte et les dépasse totalement, structure l’écoulement de l’action.
La vidéo ajoute l’évocation d’un bateau, d’un jardin, de ruines en grands tableaux oniriques plutôt réussis… Le dispositif opère comme une sublimation des deux héros entièrement voués à l’amour jusqu’à leur évaporation céleste [au III Tristan blessé, envoûté s’abandonne sur un lit d’étoiles…]. Ainsi se réalise ces vertiges terrestres hors réalité, ces élans permanents, éreintants pour extraire ces corps du monde réel ; vers l’au-delà du désir. L’amour s’il ne peut se résoudre que dans la mort (selon Wagner) est aussi, avant tout ultime accomplissement, puissance de transcendance : voilà ce que dit la musique et que s’attache à révéler et représenter la production de Roland Schwab.
Avouons qu’ici les effets et truchements visuels sont justement dosés afin qu’ils ne polluent pas l’activité ni le sens de la musique.
Ce Tristan sait cultiver la gradation des effets scéniques et atteint une réussite aussi convaincante que la version d’Olivier Py [vue, si appréciée il y a quelques années à Angers Nantes Opéra – en 2009-, du temps de sa splendeur artistique conçue avec quelle intuition par Jean-Paul Davois].
À Bayreuth, Schwab prolongerait même de Py cette progression esthétique envoûtante qu’avait permis la machinerie du Français, si éblouissante par ses traversées symboliques, d’une conscience à l’autre, d’un vertige à l’autre, d’une extase à l’autre. Chez Schwab, le lac central sur le plateau terrestre, reflétant à l’envi les effets des ciels constamment changeants au dessus, inscrit l’action dans le cycle onirique d’un temps infini, naturel, au delà de toute humanité ; le destin des amants finit par se fondre totalement à la présence allégoriques des éléments. En Tristan et Isolde, Schwab voit deux corps de désir, matière inflammable, consciences révélées aux métamorphoses infinies.
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Sous la direction attentive et détaillée du chef Markus Poschner, la distribution déploie ses indiscutables arguments. Du Melot somptueux d’Olafur Sigurdarson (qui chante aussi ici même Albérich dans le Ring), au jeune pâtre de Jorge Rodriguez-Norton…
Tout autant indiscutables, saluons les familiers [à Bayreuth] et très aguerris, donc convaincants Georg Zeppenfeld et Christa Mayer aussi solides et nuancés l’un que l’autre : Marke et Brangäne. Même admiration pour Markus Eiche, luxueux Kurwenal, aussi diseur que dramatique.
Flamboyante et ardente, habitée et somptueuse, Catherine Forster enchaîne ainsi les succès alliant durabilité et expressivité ; après sa BRÜNNHILDE ici même, son ISOLDE est tout aussi travaillée, incarnée (identique à sa prise de rôle en 2022) avec une épaisseur admirable que son partenaire aussi exposé, Clay Hilley, en Tristan, ne parvient cependant pas à égaler…. Dommage. Lui est le seul maillon faible d’un Tristan plus que convaincant : poétique ; inscrit dans les étoiles.
Mais déjà un nouveau Tristan est annoncé en 2024. Ainsi se succèdent et s’oublient les productions lyriques fussent-elles pour certaines plus méritantes que les autres. Et la fonctionnement écologique dans tout cela ? Souhaitons revoir cette production en France pour le plus grand plaisir des wagnériens comme de tous les amateurs opéras (au moins les décors seront « rentablisés » / à Bayreuth, la présente production n’aura été jouée que 4 fois en 2022 puis 2023 – dernière le 13 août 2023).
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CRITIQUE, opéra. BAYREUTH 2023. Festspielhaus, le 3 août 2023. Richard WAGNER : Tristan und ISOLDE [1865], opéra en 3 ACTES, MUSIQUE et LIVRET du livret du compositeur. Mise en scène : Roland Schwab. Vidéo : Luis August Krawen. Photos © Enrico Nawrath
Avec :
Clay Hilley, ténor (Tristan) ;
Catherine Foster, soprano (Isolde) ;
Georg Zeppenfeld, basse (le Roi Marke) ;
Markus Eiche, baryton (Kurwenal) ;
Christa Mayer, mezzo-soprano (Brangäne) ;
Ølafur Sigurdarson, basse (Melot) ;
Jorge Rodríguez-Norton, ténor (un Berger);
Raimund Nolte, baryton-basse (un Timonier) ;
Siyabonga Maqungo, ténor (un jeune Matelot)
Chœur du Festival de Bayreuth
(Chef de chœur : Eberhard Friedrich)
Orchestre du Festival de Bayreuth
Markus POSCHNER, direction
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