mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, opéra. BERGAME, Teatro Sociale (du 16 novembre au 1er décembre 2024). DONIZETTI : Zoraide di Granata. Z. Markova, C. Molinari, K. Kim… Alberto Zanardi / Bruno Ravella

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Au lendemain d’une inoubliable soirée d’ouverture, un triomphale Roberto Devereux (avec Jessica Pratt et John Osborn notamment…), le Donizetti Opera Festival offrait un titre très rare du compositeur bergamasque : Zoraida di Granata

 

Gaetano Donizetti n’a que 24 ans quand, le 28 janvier 1822, il propose, au Teatro Argentina de Rome, Zoraida di Granata, sur un livret de Bartolomeo Morelli. Comme pour Il barbiere di Siviglia de Rossini, six ans plus tôt, la malchance s’acharne sur le nouvel opéra : les partisans de Pacini, amant officiel de Pauline Borghèse, ont organisé une véritable cabale et, quelques semaines avant la première, le ténor Amerigo Sbigoli, prévu dans le personnage d’Abenamet, déclare forfait, obligeant Donizetti à adapter le rôle pour la contralto Adelaide Mazzanti ! Le succès est pourtant au rendez-vous, le compositeur révisant sa partition, en 1824, pour le même théâtre… avec un heure de musique supplémentaire. C’est cette partition, d’une durée de 3h20, qu’a retenue le festival bergamasque, en coproduction avec le Festival de Wexford en Irlande – qui a eu droit à la primeur de l’événement, en octobre 2023. 

 

Nous avons appris à oublier les conventions des livrets de l’époque (ici, les amours contrariées de Zoraida, dans une Grenade en guerre contre les Maures), quand la musique apporte le soutien nécessaire à l’intrigue. Mais nous savons également que Donizetti n’a pas été un génie précoce, comme Rossini ou Bellini, et qu’il n’a pas découvert son identité dès son troisième opéra, comme Verdi. En ces années d’apprentissage, le jeune Gaetano n’est encore qu’un élève très doué, très appliqué, auquel le grand Giovanni Mayr apporte avec raison son soutien (au point de le recommander au Teatro Argentina, pour la composition de Zoraida). Et c’est davantage dans l’opera buffa que Donizetti trouve sa voie à l’époque, avec Il fortunato inganno (Naples, 1823) ou le plus connu Ajo nell’imbarazzo (Rome, 1824). Dans l’univers serio, Donizetti, à la manière du jeune Mercadante, se réfugie du côté de Rossini et de Pacini, comme d’ailleurs dans son Alahor in Granata, autre drame se déroulant dans la ville andalouse, composé deux ans plus tard (en 1826). Et il lui faudra attendre 1830, avec l’Anna Bolena milanaise défendue par une Pasta au zénith, pour véritablement s’affirmer sur ce terrain.

 

Sublimée par des voix divines, comme les compositeurs du belcanto romantique avaient la chance d’en posséder, une partition telle que Zoraida peut prendre son envol et nous réserver quelques grands moments de plaisir musicaux et vocaux. Et c’est le cas ce soir, avec le trio de choix qui porte l’ouvrage. Dans le rôle-titre, la soprano tchèque Zuzanna Markova fait étalage de tout l’art belcantiste qu’on lui connaît, faisant fi de toute les pyrotechnies vocales associées à sa partie, doublée d’une belle puissance vocale et d’une rare musicalité. Le baryténor coréen Konu Kim est une révélation, alliant une voix surpuissante à un timbre flatteur, des aigus puissamment émis en longuement tenus à un cantabile digne des meilleurs chanteurs belcantiste du moment. En Abenamet, la mezzo italienne Cecilia Molinari cherche un peu ses graves, mais endosse néanmoins crânement ses habits de guerrier, dardant des aigus sûrs autant que puissants, et ne reculant pas devant les sauts d’intervalles (avec plus de bonheur dans le registre aigu que grave cependant, comme déjà explicité). Enfin, les comprimari – tous issus de la “Bottega Donizetti”assurent tous dignement leur tâche. Ainsi de l’Almanzor de Tuty Hernandez, de l’Ines de Lilla Takacs et de l’Ali de Valerio Morelli, une basse colorature au timbre superbe.

 

Côté scénique, Bruno Ravella a décidé d’inscrire la soirée dans un lieu emblématique d’un conflit plutôt récent, et en l’occurrence la Bibliothèque Nationale de Bosnie-Herzégovine, construite à Sarajevo, à la fin du XIXe siècle, en style néo-mauresque, ici fidèlement reproduite par Gary McCann dans son état de destruction, juste après le bombardement de 1992. Toute l’action se déroule dans ce cadre très sombre, y compris quand, au II, Zoraida chante la beauté et le doux parfum d’un jardin de roses. Pendant plus de trois heures, le spectateur reste confronté à ce décor invariable, sauf lorsque descendent ou remontent dans les cintres un grand moucharabieh brisé (semblant indiquer une scène d’intérieur plutôt que d’extérieur) et un pilier, lui aussi brisé… L’action est transposée à la fin du XXe siècle : Almuzir est en costume trois pièces et cravate, Abenamet en battle-dress, et Zoraida en jupe plissée, gilet de laine et brushing millimétré. La violence du livret est inégalement suggérée par la direction d’acteurs, avec des moments de grande tension dramatique, surtout au second acte, mais aussi des baisses de régime à d’autres moments. On reconnaîtra, en tout cas, la lisibilité et la cohérence d’un spectacle qui, en respectant le lieto fine obligé du seria, est porteur d’espérance. 

Dirigés par le chef italien Alberto Zanardi, les musiciens de la formation Gli Originali jouent sur instruments d’époque, formant un ensemble très équilibré avec le plateau vocal. Si certains montrent quelques défaillance (notamment du côté des cuivres), nos éloges iront vers un pianofortiste toujours éloquent pendant les nombreux récitatifs d’une partition qui méritait d’être (re)découverte !

 

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CRITIQUE, opéra. BERGAME, Teatro Sociale (du 16 novembre au 1er décembre 2024). DONIZETTI : Zoraide di Granata. Z. Markova, C. Molinari, K. Kim… Alberto Zanardi / Bruno Ravella. Toutes les photos © Gianfranco Rota

 

VIDEO : Une Interview de Bruno Ravella au sujet de sa production de « Zoraida di Granata » de Donizetti au Festival de Wexford, reprise à Bergame

 

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