mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, opéra. BORDEAUX, Grand-Théâtre (du 18 au 28 avril 2024). PUCCINI : La Bohème. J Grigoryan, A. Chacon-Cruz, F. P. Vitale… Emmanuelle Bastet / Roberto Gonzalez-Monjas.

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Un vieux canapé défoncé, un frigo vintage (et vide), ainsi qu’un poêle : le décor qui ouvre cette Bohème de Giacomo Puccini est dépouillé. Il s’inscrit dans une approche « zéro achat », par laquelle l’Opéra de Bordeaux recycle des décors, accessoires et costumes d’anciennes productions.

Par-delà la nécessité écologique d’une telle réflexion, La Bohème offre un cadre idéal à cette politique : les artistes désargentés vivent forcément dans un monde de bric et de broc, de « récup » et de débrouille. Le dépouillement traduit aussi le dénuement d’une vie de pauvreté, que seuls des artistes ont le pouvoir de transcender. Le geste artistique qui en résulte est astucieux mais inégal. Le plateau presque vide du premier tableau paraît bien ordinaire mais, au tableau final, plus épuré encore, il parvient à émouvoir : question de mise en scène et d’implication des chanteurs, sans doute. Avec quelques grilles, des câbles et un pilier métallique, évitant soigneusement toute imagerie sulpicienne, la Barrière d’Enfer ne déparerait pas dans une mise en scène dite de « Regietheater ». Auparavant, le Café Momus passablement encombré avait évoqué le tape-à-l’œil des spectacles de fin d’année où les cotillons sont de mise. Cet univers festif est pourtant moins brouillon qu’il n’y paraît : au regard de l’attention portée à chaque figurant, ce tableau est d’une grande précision.

 

 

Surtout, la transposition du café dans un bar éphémère de l’est parisien, est particulièrement aboutie. Emmanuelle Bastet a souhaité créer « un mouvement continu, un glissement permanent vers le monde poétique et sensible, passant du réalisme à l’onirisme, de l’extérieur à l’intime ». C’est, en partie seulement, réussi. Au fond, il y avait peut-être trop à recycler pour garantir un fil cohérent et cette Bohème ne convainc – et émeut – que par intermittences. Peut-être aussi par un plateau dont l’implication théâtrale apparaît parfois toute relative. L’expression comique est plutôt réussie, à l’image des quatre compères déroulant un festin fictif, jouant au foot avec un vieux papier roulé en boule ou roulant Benoît dans la farine (truculent Marc Labonnette). L’intensité dramatique est moindre : on cherche en vain la passion dans le coup de foudre qui réunit Rodolfo et Mimi. Avant de pleurer lorsque celle-ci expire – et pas seulement pour le visage cadavérique (quel maquillage !) de Mimi.

Le plateau est de bonne tenue. Mimi radieuse, au timbre délicat, Juliana Grigoryan convainc d’emblée et, lorsqu’elle susurre à Rodolfo des aigus émis piani dans la pénombre, on comprend aisément qu’il y succombe. Arturo Chacón-Cruz offre à Rodolfo une santé vocale (un peu trop) éclatante. Les aigus sont là, impétueux donnant au personnage une exaltation quasi continue, l’aisance effaçant la nuance. Comme si ce Rodolfo était au fond exalté, presque écervelé – un comble pour un poète !

Timbre presque trop sombre pour le rôle, Thomas Dolié est un Marcello solide, légèrement effacé et sans toile ni pinceaux, ce qui renforce son rôle en quelque sorte de « confident ». Il trouve en Francesca Pia Vitale une partenaire idéale, sa Musetta, musicalement irréprochable, s’affichant aussi vulgaire (au café Momus) que paumée. En bellâtre latin, Thimothée Varon est un Schaunard immédiatement séduisant. Cheveux noirs frisés, lunettes de soleil, manteau de fourrure et chaîne en or sur un tee-shirt bleu nuit, on l’imagine aisément au festival de San Remo. Sa joyeuseté s’accompagne d’une musicalité sans faille, affirmée dès son entrée en scène. On saluera aussi le timbre sombre, la voix profonde de Goderdzi Janelidze, Coline de très belle tenue.

Dans la fosse bordelaise, Roberto González-Monjas impulse à un Orchestre national de Bordeaux-Nouvelle Aquitaine des grands soirs – une direction lumineuse, qui fait ressortir élégamment chaque pupitre. Les attaques sont précises, la tension permanente. le volume sonore nuit parfois, mais rarement, à l’équilibre avec le plateau qui est savamment entretenu. Une soirée inégale mais plutôt réussie!

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CRITIQUE, opéra. BORDEAUX, Grand-Théâtre (du 18 au 28 avril 2024). PUCCINI : La Bohème. J Grigoryan, A. Chacon-Cruz, F. P. Vitale… Emmanuelle Bastet / Roberto Gonzalez-Monjas. Photos (c) Eric Bouloumié.

 

VIDEO : Trailer de « La Bohème » selon Emmanuelle Bastet à l’Opéra National de Bordeaux

 

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