samedi 19 avril 2025

CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie (du 11 sept au 4 oct 2025). WAGNER : Siegfried. M. Vigilius, I. Brimberg, G. Bretz… Pierre Audi / Alain Altinoglu

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Lors de la conférence de presse du Théâtre Royal de La Monnaie en avril dernier, une annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre : Romeo Castellucci ne poursuivrait pas son projet de Ring de Richard Wagner à Bruxelles, jugé irréalisable dans les contraintes budgétaires et temporelles fixées par l’intendant Peter de Caluwe. Ainsi, le projet expérimental de long métrage utilisant une « technologie inexplorée » pour Siegfried a été abandonné. Pierre Audi, actuel directeur du Festival d’Aix-en-Provence et déjà auteur d’un Ring audacieux il y a vingt-cinq ans à l’Opéra National des Pays-Bas, a repris les rênes du projet. Il a entièrement repensé sa vision de l’œuvre pour l’adapter à la salle intimiste de La Monnaie.

 

Audi assume une rupture stylistique avec le travail de Castellucci, souvent acclamé pour son audace et sa profondeur symbolique. Sa production, montée en un temps record, tient du miracle par sa justesse psychologique, son équilibre esthétique et son humour décalé. Le rocher de Brünnhilde, en noir et blanc, rappelle le final de La Walkyrie de Castellucci, mais Audi évite les symboles parfois alambiqués pour privilégier une narration linéaire et colorée, évoquant les contes de fées sombres de l’enfance. Une courte vidéo muette, montrant des enfants interprétant le récit dans un atelier de bricolage, ouvre l’opéra, suggérant une allégorie de l’apprentissage et de la vie.

Le récit suit un parcours initiatique, structuré autour des quatre éléments (terre, feu, eau, air), où Siegfried évolue de l’adolescence à la maturité. Audi opte pour une abstraction intemporelle, symbolisée par une météorite géante éclairée avec art par Valerio Tiberi. Cet objet magnétique et mouvant incarne tour à tour les écailles du dragon et les fragments d’un monde en mutation après la rencontre entre Wotan et Siegfried. Une lance-laser, rappelant le Ring de Harry Kupfer à Bayreuth en 1988, traverse l’espace lors de l’arrivée du Wanderer, scellant les confrontations dramatiques avant de se briser sous les coups de l’épée Notung. Audi injecte une dose de légèreté dans ce Siegfried, notamment au premier acte où le héros, plus anxieux qu’intrépide, martyrise un sac de boxe suspendu, tandis que Mime prépare une potion sur une kitchenette ludique. La sortie de l’adolescence de Siegfried est symbolisée par l’explosion décalée d’un ours en peluche. Les décors minimalistes de Michael Simon, associés à une direction d’acteurs précise, rendent fluide la succession des duos dramatiques.

Magnus Vigilius incarne un Siegfried à la vaillance éruptive, mêlant inquiétude et lyrisme, face à un Mime idéalement interprété par Peter Hoare, dont le timbre nasillard et guttural convient parfaitement à la félonie du personnage. Gábor Bretz campe un Wanderer fatigué, aux graves profonds et à l’aigu légèrement poussif, incarnant un dieu en bout de course. Scott Hendricks, en Alberich, offre une performance vocale corsetée mais expressive, tandis que Wilhelm Schwinghammer impressionne en Fafner, dont la voix amplifiée évoque une terreur glaciale. Ingela Brimberg, en Brünnhilde, allie puissance vocale et humanité, explorant les nuances émotionnelles du personnage. Nora Gubisch, en Erda, apporte une présence chaleureuse, tandis que Liv Redpath, en Oiseau de la forêt, enchante par sa fraîcheur vocale.

 

 

L’Orchestre symphonique de La Monnaie, dirigé par Alain Altinoglu, livre une performance remarquable, alliant puissance tellurique et transparence chambriste, magnifiant la dramaturgie wagnérienne. Malgré quelques signes de fatigue dans les pupitres de violons au troisième acte, l’orchestre brille par sa cohésion et son engagement. Altinoglu, acclamé à juste titre, semble être le véritable metteur en scène de cette production, tant sa direction musicale imprègne chaque moment.

Le Siegfried de Pierre Audi, accueilli par une standing ovation, offre une vision à la fois onirique et humaine, permettant un plein épanouissement du flux musical et mettant en valeur une distribution homogène et talentueuse. Cette production marque un tournant dans le Ring bruxellois, passant de l’univers des dieux à celui des hommes. Bien que moins radicale que celle de Castellucci, elle séduit par sa clarté narrative et sa beauté visuelle. Les absents à cette première ont manqué un spectacle qui, malgré les circonstances difficiles, relève le défi avec brio et ouvre une nouvelle page dans l’histoire de La Monnaie.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie (du 11 sept au 4 oct 2025). WAGNER : Siegfried. M. Vigilius, I. Brimberg, G. Bretz… Pierre Audi / Alain Altinoglu. Toutes les photos © Monika Rittershaus

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