vendredi 5 juillet 2024

CRITIQUE, opéra. COLOGNE, Oper Köln / StaatenHaus (du 17 septembre au 11 octobre 2023). R. STRAUSS : Die Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre). A. J. Glueckert, D. Köhler, I. Vilsmaier, J. Shanahan, L. Lindström… Katharina Thomas / Marc Albrecht.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Après avoir initié son mandat avec Les Troyens de Berlioz en septembre 2022, le nouveau directeur artistique de l’Opéra de Cologne (Oper Köln) Hein Mulders choisit un autre titre-monde avec La Femme sans ombre (Die Frau ohne Schatten) de Richard Strauss pour débuter sa seconde saison, toujours hors-les-murs à la Staatenhaus sur le rive gauche du rhin, avec l’espoir cependant que sa 3ème saison intégrera enfin l’immense édifice de la rive droite, en plein centre de la ville. 

 

 

Confiée à la metteure en scène allemande Katharina Thoma, la mise en scène élargit le problème de la Maternité à celui plus large de la responsabilité, celle de l’Impératrice envers le couple de Teinturiers – ici transformés en chiffonniers de quelques banlieues déshéritées, évoluant sur une sorte d’îlot blanc (décor de Johannes Leiacker) , le fantastique et le prosaïque s’interpénétrant sans cesse dans cette régie. L’Empereur et l’Impératrice sont un couple de bourgeois, tandis que le fameux faucon est incarné par une jeune femme tout de cuir rouge vêtue, mais tout le temps en train de répandre des plumes rouges sur la scène, tandis que le Messager est lui enduit de peinture blanche de la tête au pied, comme “marbrifié”, à l’instar d’ailleurs du choeur/de figurants qui apparaissent à de nombreuses reprises de la même façon. 

Drame humain, le conte de Hofmannsthal se veut aussi drame sociétal sous le prisme du regard de Katharina Thoma. Les teinturiers/chiffonniers recyclent et envoient les vieux vêtements occidentaux vers l’Afrique (c’est ce que l’on apprend grâce au programme de salle…), mais avec des conséquences dramatiques pour l’économie locale et aussi en termes l’environnement. Barak n’est plus seulement un “opprimé”, mais fait aussi partie intégrante d’un autre système d’oppression, de l’autre côté de la Méditerranée, des personnages qui apparaissent au III, où le très actuel thème des Migrants est ainsi également mis en exergue. Apeurés, assoiffés et en manque de nourriture, ils reprennent vie et espoir quand la Voix du ciel (incarnée par Jinji Yang, secouriste vêtue d’un gilet de sécurité jaune) leur annonce “La voie est libre”, et qu’ils sont secourus par une organisation humanitaire qui les prend en charge (en leur offrant par exemple des bouteilles d’eau). La responsabilité individuelle de l’Impératrice envers le couple de Teinturiers est ainsi déplacé ici à une plus grande échelle, celle de nos sociétés occidentales riches envers les peuples d’Afrique et du Moyen-Orient en souffrance. Et l’exaltation de la scène finale est d’abord contredite par la projection d’images vidéo de terres arides et desséchées (vidéo de Georg Lendorff), mais à la toute fin, une plante délicate est mise en terre et arrosée par des enfants immigrés… comme un symbole d’espoir.

 

Dans le rôle de l’Impératrice, Daniela Köhler offre une voix juvénile et pleine, avec une émission se pliant aux moindres inflexions de l’écriture straussienne et une justesse absolue dans l’extrême aigu. La suédoise Lise Lindstrom fait quasiment jeu égal avec son formidable portrait de la Teinturière. Le timbre est pénétrant, bien que non dénué de quelques duretés dans l’extrême aigu, le registre exceptionnellement étendu, avec un grave sonore et une diction impeccable. A son crédit, on ajoutera également une parfaite compréhension des ressorts psychologiques du personnage. Le cas de La Nourrice de la mezzo allemande Irmgard Vilsmaier est plus problématique, car la voix bouge désormais dangereusement, et le registre aigu se montre de plus en plus difficile d’accès.

De son côté, l’Empereur de AJ. Glueckert chante avec une énergie et un élan que l’on croirait inépuisable, triomphant des aigus meurtriers dont sa partie est hérissée, et son “Invocation au faucon” est l’un des moments les plus excitants de la soirée. Le Barak de Jordan Shanahan marque cependant encore plus les esprits avec son Barak – dont il a l’exacte carrure, la noblesse de phrasé, la puissance vocale, et une facilité à émouvoir tant par son jeu que par son chant. Les comprimari sont de la même eau, avec notamment un excellent Faucon incarné ici par Giulia Montanari et un Messager diablement efficace en la personne de Karl-Heinz Lehner

 

A la tête du fameux Orchestre Gürzenich, placé sur le côté droit du plateau sans que les équilibres soient rompus, Marc Albrecht contrôle de bout en bout les imposantes forces musicales placées sous sa baguette, qu’elles jouent en fosse ou en coulisse. La partition se déploie dans toute sa somptuosité de timbres et de couleurs, sans jamais faire obstacle au chant, un tour de force au vu de la configuration du spectacle ! 

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CRITIQUE, opéra. COLOGNE, Oper Köln / StaatenHaus (du 17 septembre au 11 octobre 2023). R. STRAUSS : Die Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre).    A. J. Glueckert, D. Köhler, I. Vilsmaier, J. Shanahan, L. Lindström… Katharina Thomas / Marc Albrecht.

 

VIDEO : Trailer de Die Frau ohne Schatten de Strauss à l’Oper Köln

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