samedi 29 mars 2025

CRITIQUE, opéra. COMPIEGNE, Théâtre Impérial, le 31 janvier 2025. CAMPRA : Le Carnaval de Venise (1699), Anna Reinhold, Victoire Bunel, Guilhem Worms, Sergio Villegas Galvain, Il Caravaggio, Camille Delaforge (direction). Yvan Clédat & Coco Petitpierre (mise en scène)

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Rares les productions comme ce soir aussi réjouissantes visuellement que musicalement. Soulignons même que les références esthétiques défendues par les décors et les costumes (fabriqués par l’Opéra de Rennes), toute la conception scénographique s’accordent idéalement aux qualités expressives de l’orchestre en fosse (Il Caravaggio), d’une constante souplesse hédoniste, aux nuances maîtrisées, continument renouvelées qui régénèrent la vivacité des récits comme des airs, solos, duos, trios, chœurs…

 

L’ouvrage de Campra, un opéra-ballet créé en 1699, soit à la fin du règne de Louis XIV, n’est pas à proprement parler dramatique ; il collectionne surtout les airs isolés et les ensembles avec ce génie des rythmes de danses omniprésentes, ce dès les premières scènes qui succèdent au Prologue (où paraît une Minerve, moins martiale que déesse de la détente, agent des divertissements et des plaisirs). C’est évidemment la danse qui assure l’unité organique de l’action : elle permet aux instrumentistes de briller… et ce soir avec une maîtrise souveraine. De son côté, la grand finesse de la mise en scène sait éclairer la comique des situations [avec les 5 Polichinelles, tout de blanc vêtus, figures vénitiennes qui commentent, parodient, surlignent aussi chaque séquence], leur référence directe au Carnaval de Venise, aux fresques truculentes d’un Tiepolo, à la verve mordante de Goldoni, accrédite la légitimité du titre de la partition.

 

 

Mais de Venise, Campra s’intéresse surtout au mythe sensuel, à la patrie du désir et des plaisirs, au temple de l’effusion et de la séduction ; le spectacle souligne essentiellement la toute puissance de l’amour, sentiment déferlant peu à peu, comme une force poétique et envoûtante qui soumet tout à son empire [c’est bien le sens du dernier chœur, lors du bal final, après la parodie de la descente d’Orphée aux enfers]…

 

 

 

Joyau baroque au Théâtre Impérial de Compiègne
UN CARNAVAL TRES HAUTE COUTURE

 

Anna Reinhold, Léonore amoureuse éprise, écartée / La Co(opéra)tive / © Martin Argyrolo

 

Nuances et accents de l’ensemble Il Caravaggio se déploient dans une clarté et une belle énergie, caractérisant avec beaucoup de naturel et de subtilité chaque séquence émotionnelle. Sur le plan psychologique, c’est surtout le couple Isabelle / Léandre qui est ici central, et donc le plus fouillé ; renforcé même dans sa fusion amoureuse par la figure de Léonore qui ouvre l’action, éprise mais vite écartée, tragique, jalouse, vengeresse ; et qui d’ailleurs disparaît rapidement en fin d’action comme gommée par un Campra, rien qu’intéressé par son affection souveraine pour l’expression d’une impérieuse et ineffable tendresse.
On retrouve cette même suavité rayonnante dans l’univers visuel des metteurs en scène Yvan Clédat et Coco Petitpierre, lesquels ne trahissent pas leur origine ; ils viennent de la mode et de l’esprit haute couture ; cela se révèle ici sans réserve, et avec quel goût : immenses glands de passementerie, qui descendent des cintres fort à propos ; sphères colorées en soie texturée, costumes bigarrés qui citent la théâtralité italienne la plus élégante (Commedia dell’arte) dont le luxe raffiné et toujours très juste, se révèle davantage dans le tableau des enfers séparant Orphée et Eurydice,… Tous les éléments de la scénographie produisent matériellement la métaphore de la sensualité, offrant visuellement la sensation de la texture même de la tendresse… Ce que les chanteurs expriment constamment, se voit matériellement sur la scène à chaque moment clé.

La joute amoureuse qui au début oppose les deux femmes rivales (Léonore / Isabelle) s’affirme comme dans un labyrinthe circulaire ; plateau symbolique qui forme un échiquier des sentiments où les passions peuvent s’exacerber ; les cœurs se briser, ou… s’électriser ; dans cette arène sensible, crépitent les intrigues haineuses (fomentées par Léonore et Rodolphe), surtout l’infinie langueur des cœurs épris (Léandre et Isabelle, superbe duo au II ; puis sérénade du trio de Léandre et des musiciens italiens)…

Les musiciens d’Il Caravaggio confirment leur affinité avec le répertoire baroque français. On retrouve en concert les qualités expressives et cette grande sensibilité aux phrasés, si appréciées dans leur dernier album édité par Château de Versailles Spectacles [Le Devoir du premier commandement, dévoilant comme jamais la finesse et l’intelligence du jeune MOZART / Die Schuldigkeit des Ersten Gebots (Salzbourg, 1767) enregistrement distingué par notre CLIC de CLASSIQUENEWS : lire notre critique complète ici : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-mozart-le-devoir-du-premier-commandement-die-schuldigkeit-des-ersten-gebots-salzbourg-1767-gwendoline-blondeel-charte-sargsyan-mouaissia-il-caravaggio-camil/].

 

 

Dans le labyrinthe amoureux se perdent Leonore et Rodolphe, animés par l’esprit de vengeance (© Martin Argyroglo)

 

 

Au service de l’irrésistible suavité d’un Campra inspiré par l’amour, le geste affûté et souple de Camille Delaforge éclaire ainsi le raffinement d’une partition qui acclimate les situations de la comédie italienne au style théâtral français. Mieux le geste interprétatif particulièrement convaincant par sa cohérence et sa séduction, replace Campra à sa juste mesure, sachant assimiler la noblesse versaillaise d’un Lully, comme l’élégance motorique de Haendel, préfigurant ainsi dans le genre de l’opéra-ballet, l’immense Rameau à venir.

Vocalement la distribution est irréprochable, attestant l’essor actuel des chanteurs français sur la scène baroque. Parmi une équipe très complice, saluons le duo Isabelle / Léandre (Victoire Bunel et Sergio Villegas Galvain) qui incarne avec l’épaisseur et la vérité requises, le couple sincèrement épris l’un de l’autre ; le mezzo velouté et intense d’Anna Reinhold, Isabelle ardente, éprouvée, juste, puis Eurydice toute aussi crédible ; son Orphée ne l’est pas moins (David Tricou, inspiré dans un jeu parodique mesuré), comme Guilhem Worms dont les 3 rôles L’Ordonnateur, Rodolphe et enfin Pluton (qui se laisse émouvoir par Eurydice) sont finement abordés. Même enthousiasme pour la piquante et délirante Fortune de Clarisse Dalles dont le tempérament vocal et scénique, se distingue lui aussi très nettement.

Clarisse Dalles (La Fortune) : La Co(opéra)tive / © Martin Argyrolo

 

 

 

Nouvelle production de La Co(opéra)tive (sa 9ème précisément), ce Carnaval de Venise est un joyau irrésistible, dont la finesse autant visuelle que musicale captive du début à la fin. Saluons le Théâtre Impérial de Compiègne et son directeur Éric Rouchaud de porter ainsi une telle production en tout point réussie et qui réactive toute la magie de l’opéra baroque. Avec d’autant plus d’intensité que l’acoustique du Théâtre Impérial est l’écrin qui se prête parfaitement au travail d’orfèvrerie défendu par l’équipe artistique.

Joué avant Compiègne à Besançon, le spectacle va tourner dans l’Hexagone pour le plus grand plaisir d’un très vaste public ; il est annoncé au Théâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper, à l’Opéra de Rennes au Théâtre Sénart, Scène nationale, à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, au Quartz, Scène nationale de Brest, sur les planches de L’Équinoxe, Scène nationale de Châteauroux, à la MC2: Maison de la Culture de Grenoble, Scène nationale, enfin à Angers-Nantes Opéra… Production événement. Donc incontournable.

 

 

Le couple central : Isabelle et Léandre / Victoire Bunel et Sergio Villegas Galvain

 

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. Compiègne, Théâtre Impérial, le 31 janvier 2025. CAMPRA : Le Carnaval de Venise (1699), Anna Reinhold, Victoire Bunel, Guilhem Worms, Sergio Villegas Galvain, Il Caravaggio, Camille Delaforge (direction). Yvan Clédat & Coco Petitpierre (mise en scène)

Toutes les photos : La Co(opéra)tive / © Martin Argyrolo

 

 

 

PLUS D’INFOS sur le site de LA CO(OPERA)TIVE : http://www.lacoopera.com/la-dame-blanche-1-2

LIRE aussi notre présentation du CARNAVAL de VENISE d’André CAMPRA sur la scène du Théâtre Impérial de Compiègne, les 30 et 31 janvier 2025 : https://www.classiquenews.com/compiegne-theatre-imperial-campra-le-carnaval-de-venise-les-30-et-31-janv-2025-nouvelle-production-yvan-cledat-et-coco-petitpierre-il-caravaggio-camille-delaforge/

 

COMPIEGNE, Théâtre Impérial. CAMPRA : Le Carnaval de Venise, les 30 et 31 janv 2025. Nouvelle production. Yvan Clédat et Coco Petitpierre / Il Caravaggio. Camille Delaforge.

 

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