samedi 29 juin 2024

CRITIQUE, opéra (en version de concert). PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 21 mai 2024. HAENDEL : Berenice. S. Piau, A. Hallenberg, P. A. Bénos-Djian, R. Brès-Feuillet… Il Pomo d’Oro / Francesco Corti (direction).

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Qui se souvient de Cléopâtre-Bérénice III reine de l’Egypte Lagide à l’époque Hellénistique ? Bérénice III a régné seule que pendant quelques mois entre 81 et 80 avant JC. Outre une vie truffée d’intrigues, péripéties politiques et rebondissements matrimoniaux, la reine d’Alexandrie a été une des victimes collatérales de la politique d’ingérence de plus en plus pressante du dictateur Sylla de Rome. En effet, Bérénice III a dû épouser son demi-frère Alexandre, qui deviendra Ptolémée XI-Alexandre II par la grâce de Rome. Ce beau mariage montera a la tête du jeune époux et il assassinera sa royale épouse peu de temps après la nuit de Noces. Las, le règne personnel du nouveau monarque sera de courte durée également, puisqu’il trépassera lynché par les Alexandriens qui aimaient sincèrement leur reine…

 

 
L’histoire de cette obscure ancêtre de la célèbre Cléopâtre VII, rapportée par Appien, a sans doute inspiré le librettiste florentin Antonio Salvi pour en faire un livret en 1709 mis en musique par le bolonais Giacomo Perti. Cette oeuvre est passé sous les plumes du tandem Domenico Scarlatti/Nicola Porpora, Francesco Araja avant d’atterrir entre les mains de Georg Friedrich Henndel en 1737. Quasiment pour sauver la saison déclinante à Covent Garden, au coeur de la guerre des opéras londoniens, Haendel a mis en musique la Berenice de Salvi en la faisant adapter sans beaucoup de soin dans l’entreprise. Haendel en proie au surmenage et des lourds problèmes de santé, dont une paralysie de quatre doigts, a fait son possible en 1737 pour défendre cette Berenice qui n’a pas du tout trouvé le succès escompté. 
 
Malgré une distribution de haute volée avec notamment les castrats Annibali et Gizziello ou les mezzo-sopranos Bertolli et Negri, l’histoire de Bérénice III ballottée entre l’amour et la politique n’a pas du tout séduit un public londonien lassé des querelles incessantes des maisons d’opéra rivales depuis 1733. Le livret de Salvi rabotté à-la-va-vite n’a pas aidé la survie de cette partition qui compte des bijoux étincelants de la plume du maître saxon. Citons notamment les airs qu’il a composé pour le rôle-titre qui sont d’une variété et d’une élégance rares. La profusion de duos est aussi une caractéristique intéressante qui demeure quasiment unique dans toute la production opératique haendelienne. 
 
Saluons donc le retour de cette Berenice en Première française sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées dont le plateau a porté tant de recréations mondiales ou gauloises.  Ce soir nous avons été gâtés d’abord par Il Pomo d’Oro, incomparable dans ces partitions et dans une forme olympique. Chaque pupitre a su donner à cette partition l’ampleur, le dynamisme et les contrastes nécessaires à  l’épanouissement de l’écriture de Haendel. Le maestro Francesco Corti nous a mené à travers les méandres de la politique et de l’amour avec justesse, des tempi cohérents et une fine compréhension du langage et de la dramaturgie de l’oeuvre. Quelle joie d’être emportés par de telles et tels musicien.ne.s! 
 
La distribution était digne de la cour des Ptolémées avec des interprètes rompus au style de l’opéra baroque dont le talent est plus que confirmé. Dans le rôle de Bérénice III, la soprano Sandrine Piau incarne aisément la noblesse traversée des mille et un dilemmes amoureux. Si parfois l’orchestre la couvre un peu, Mme Piau nous ravit dans les duos, les airs et dans les récits avec la justesse et le timbre diamantin qu’on lui connait. Face à elle, sa soeur rivale Selene est Ann Hallenberg. L’agilité vocale et la richesse de sa tessiture n’ont rien à démontrer de plus qu’elle est une interprète idéale pour le répertoire de la Bertolli. 
 
Le rôle du primo uomo Demetrio est dévolu au contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian. Astre stratosphérique de nos scènes baroques actuelles, ce chanteur nous ravit avec les couleurs magnifiques qu’il déploie dans toute l’étendue du rôle. Les seuls bémols sont son l’emploi de la voix mixte dans certains passages et un manque de théâtre manifeste, ce qui n’empêche aucunement de faire justice à la partition de Haendel au delà de toute mesure.  Face à lui, l’autre contre-ténor est Rémy Brès-Feuillet – qui remplace Hugh Cutting pour notre plus grand bonheur. Interprète idéal dans le style, la diction et la plénitude de la voix, le contre-ténor marseillais a su incarner le rôle veule d’Arsace à la perfection. 
 

La palme absolue de la soirée est largement méritée par la soprano romaine  . Sublime dans son incarnation d’Alessandro, amoureux éconduit et finalement récompensé. Le rôle conçu pour Giziello qui n’avait que 23 ans à l’époque de la création, comporte des écarts de tessiture assez éprouvants. Ariana Venditelli a su naviguer les difficultés de la partition avec une musicalité explosant le cadre, une myriade de couleurs sublimes dans les da capi et un engagement théâtral hors pair. Vite qu’on l’entende en solo dans un récital Giziello ou Berselli ! Dans les rôles secondaires les chanteurs Matthew Newlin et Jonathan Chest ont été corrects, mais sans grande envergure. C’est assez dommage mais au vu de leur place anecdotique dans le livret de Salvi, ils n’ont pas eu de place pour développer une interprétation convaincante.

L’on oublie souvent, quand l’on est un habitué des salles de concert, que la musique est avant tout un art qui touche au plus profond. Alors que Berenice et Demetrio chantent le duo « Se il mio/tuo amor fù il mio/tuo delitto » qui clôt l’acte I de cet opéra de Haendel, le discours amoureux et pathétique du couple a vu dans la pénombre un couple d’amoureux du temps jadis l’écouter, main dans la main et les yeux dans les yeux, tels ces jeunes coeurs sur lesquels le temps n’a aucune prise…

 

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CRITIQUE, opéra (en VC). PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 21 mai 2024. HAENDEL : Berenice. S. Piau, A. Hallenberg, P. A. Bénos-Djian, R. Brès-Feuillet… Il Pomo d’Oro / Francesco Corti (direction). Photo (c) Thibault Vicq.

 

AUDIO : Menuet extrait de « Berenice » de Georg Friedrich Haendel

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