mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre (du 12 au 22 décembre 2024). GIORDANO : Fedora. E. Guseva, N. Mavlyanov, S. Del Savio… Arnaud Bernard / Antonino Fogliani

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Conçue pour Sarah Bernhardt qui en fit l’une de ses pièces de prédilection, Fedora de Victorien Sardou (à qui l’on doit aussi Tosca) fut adaptée en livret d’opéra par Arturo Colauti à l’intention d’Umberto Giordano. L’opéra est devenu une rareté sur les scènes lyriques, mais c’était sans compter sur l’imaginatif et toujours audacieux Aviel Cahn, le patron du Grand-Théâtre de Genève qui le met à son affiche en ce mois de décembre 2024.

 

L’ouvrage n’étant plus jamais donné, il convient d’en narrer l’histoire, avec une action qui se situe dans les années 1870. Le prince russe Vladimir Yariskine est assassiné la veille de ses noces avec la princesse Fedora, et celle-ci jure de venger son promis. En suivant les traces incertaines du coupable, elle arrive à Paris où elle fait la connaissance d’un compatriote, un peintre nommé Loris, et en tombe amoureuse. Il se trouve que c’est l’assassin qu’elle cherche et elle n’hésite pas à le dénoncer à la police russe dans une lettre. La lettre, arrivée en Russie, provoque l’arrestation du frère de Loris, comme complice du crime, mais le jeune homme se noie en prison à la suite d’une inondation de la Neva qui a envahi les cellules. La mère des deux meurt de chagrin. Cela amène Fedora à découvrir que le peintre avait été gravement offensé dans son honneur par le prince : c’était l’amant de sa femme, il les avait surpris ensemble. Dans l’échange de coups de feu, Loris était resté blessé et le prince Vladimir avait perdu la vie. Fedora, désespérée, s’ôte la vie avec le poison contenu dans une croix que lui avait offerte son mari la veille des noces…

Titre souvent à l’affiche dans les années cinquante et soixante, où brilla notamment Maria Callas, Renata Tebaldi et Magda Olivero qui en fit son rôle-fétiche, Fedora ne nécessite pas seulement une chanteuse-actrice d’exception, mais aussi d’un ténor spinto capable de faire délirer l’auditoire avec le fameux air « Amor ti vieta », mélodie tellement irrésistible que Giordano l’utilise comme leimotiv d’un bout à l’autre de la partition. En alternance avec la polonaise Aleksandra Kurzak, la soprano russe Elena Guseva soutient sans peine les irrésistibles élans vocaux de son personnage, de même que ses plongées dans le registre grave, s’abandonnant corps et âme à l’exaltation de l’amour. Elle se révèle aussi formidable actrice qu’excellente chanteuse et diseuse. La personnalité hautaine de la princesse, dotée d’un caractère impérieux et manipulateur, convient à la perfection au physique et au port de la cantatrice russe. Face à elle, l’excellent ténor ouzbèque Najmiddin Mavlyanov (en alternance avec Roberto Alagna) n’a pas de mal à lui tenir tête, avec sa voix de stentor. Créé par Enrico Caruso, le rôle de Loris lui va comme un gant : ardent, impulsif et entier, il sait pour autant insuffler passion et sentiment au fameux “Amor ti vieta”, et se montrer émouvant dans la déchirante scène finale. Le baryton italien Simone Del Savio est un De Siriex idéalement diplomate, au chant policé, flirtant aimablement avec la charmante Olga de Yuliia Zassimova, tandis que les seconds rôles sont tous à la hauteur de leur tâche. 

Après son triplé “Manonau Teatro Regio de Turin le mois passé, on retrouve le metteur en scène Arnaud Bernard à Genève où la forte communauté russe qui y vit semble lui avoir inspiré sa mise en scène. Avant les premiers accords de musique, l’on assiste à la mise en place d’un “Kompromat” incluant les protagonistes, l’action étant transposée dans la Russie soviétique des années 70, même si la scénographie situe plus l’action, ensuite, dans l’entre-deux guerres, ce qui brouille quelque peu la lisibilité de l’action. On ne se régale pas moins des décors toujours très “léchés” (signés Johannes Leiacker) et de l’esthétique très cinématographique propres au metteur en scène français.

En fosse, le chef italien Antonino Fogliani sait tenir l’Orchestre de la Suisse Romande, et surtout lui insuffle tout le pathos et l’emphase exigés par une œuvre qui trouve son identité dans les déferlements de la passion et dans l’abandon total à cette « volupté de boudoir », très proche d’une certaine esthétique française, celle de Massenet, par exemple. Et c’est toujours un vrai bonheur d’entendre cette musique aux effluves capiteuses qui vous trotte encore longtemps dans la tête près avoir quitté la salle…

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CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre (du 12 au 22 décembre 2024). GIORDANO : Fedora. E. Guseva, N. Mavlyanov, S. Del Savio… Arnaud Bernard / Antonino Fogliani. Crédit photo © Carole Parodi.

 

VIDEO : Trailer de « Fedora » de Giordano selon Arnaud Bernard au Grand-Théâtre de Genève

 

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