mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre (du 22 janvier au 2 février 2025). R. STRAUSS : Salomé. O. Golovevna, G. Bretz, J. Daszak… Jukka-Pekka Saraste / Kornel Mondruczo

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Familier des metteurs en scène les plus sulfureux du moment, Aviel Cahn fait revenir au Grand-Théâtre de Genève – après sa décoiffante “Affaire Makropoulos” en 2020 -, le trublion hongrois Kornél Mondruczo, pour une lecture toute aussi “hors-piste” de la Salomé de Richard Strauss.

 

De fait, nul Judée antiquisante ici, mais l’étage cossu d’un building new-yorkais, qui s’avère être la Trump Tower, ce que nous révèle l’arrivée pétaradante d’un Hérode grimé en Donald Trump, coiffure similaire et cravate orange à l’appui, tandis que ses patibulaires acolytes portent des casquettes rouges où s’affichent des “MAGA” (Make America Great Again) !… En contrebas, des manifestants crient leur mécontentement, auxquels les sbires de Hérode/Trump et les nombreuses escort-girls qui les accompagnent prêtent parfois l’oreil… entre deux lignes de coke et quelques rasades de whisky ! Salomé ressemble aux girls, en affichant la même vulgarité, tandis que Iokanaan est attifé comme un gaucho de base, confiné dans un ascenseur qui lui sert de prison, et dans lequel Hérode culbutera de la plus violente façon Salomé après qu’elle ait effectué la fameuse Danse des 7 voiles… Après le viol de l’héroïne, la scène passe de la violence à la folie, et l’on assiste à une bacchanale de notre temps, avec des objets symboliquement phalliques qui tombent des cintres, images cependant bien moins impressionnantes que l’étonnante scène finale où émerge progressivement, dans le noir depuis le fond de scène, la tête tranchée en format géant de Iokanaan. Salomé et ses sœurs de souffrance en sortent par tous les orifices (nez, bouche et même ses oreilles…), en se livrant à des contorsions à la fois morbides et lascives… 

 

La soprano ruse Olesya Golovevna s’empare du rôle-titre avec une présence exceptionnelle. La voix n’est pas en reste, claire, admirablement projetée, qui restitue toute la monstruosité de cette femme-enfant et sait s’autoriser des raucités vulgaires (avec quel mépris elle énonce les syllabes de « Tetrach ! »). Elle forme en plus un couple d’une séduction irrésistible avec le magnifique Iokanaan de la basse hongroise Gabor Bretz, au chant plein de charisme et de grandeur, malgré son ridicule accoutrement. De son côté, le ténor britannique John Daszak, aussi excellent acteur que chanteur, campe un Hérode à la voix superbement projetée, tandis que le personnage de Hérodiade trouve dans la mezzo allemande Tanja Ariane Baumgartner une interprète de haute volée, aux moyens amples et au timbre chaud. Loin de la traditionnelle harpie dans laquelle nombre de metteurs en scène enferment volontiers le rôle, elle dessine une Hérodiade terriblement humaine dont la voix révèle sans cesse la détresse. Matthew Newlin est tout simplement superbe dans le rôle de Narraboth, tandis que la mezzo Ena Pongrac se montre très convaincante dans la tessiture du Page. 

 

Excellente, enfin, la direction musicale du chef finlandais Jukka-Pekka Saraste qui sait souligner les sortilèges et les luxuriances de l’orchestration, ainsi que ses contrastes entre pur lyrisme et dramatisme exacerbé. Sans jamais laisser retomber la tension, le jeune chef allemand parvient à ne jamais couvrir les voix, ne déchaînant un Orchestre de la Suisse Romande, magnifique de cohésion et de clarté, que dans les séquences instrumentales ou les imprécations de Iokanaan.

 

 

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CRITIQUE, opéra. GENEVE, Grand-Théâtre (du 22 janvier au 2 février). R. STRAUSS : Salomé. O. Golovevna, G. Bretz, J. Daszak… Jukka-Pekka Saraste / Kornel Mondruczo. Toutes les photos © Magali Dougados

 

VIDEO : Trailer de « Salomé » de R. Strauss selon Kornél Mondruzo au Grand-Théâtre de Genève

 

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