mercredi 3 juillet 2024

CRITIQUE, opéra. GENÈVE, Grand-Théâtre, le 22 juin 2023. VERDI : Nabucco. R. Burdenko, S. Hernandez, R. Zanellato, D. Giusti. A . Fogliani / C. Jatahy. 

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Pour clore sa saison intitulée “Mondes en migration”, le Grand-Théâtre de Genève (et son directeur Aviel Cahn) a fait appel à la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy pour mettre en images “Nabucco” de Verdi. Artiste associée à pas moins de quatre théâtres prestigieux (le Théâtre de l’Odéon à Paris, le Piccolo Teatro de Milan, le Schauspielhaus de Zurich et le Arts Emerson Theater de Boston), elle a reçu l’an passé un Lion d’or à la Biennale de Venise pour l’ensemble de son travail, basé sur les “frontières” et les “questions raciales”, des thèmes qui ne pouvaient qu’entrer en résonance avec le chef d’oeuvre du maître de Bussetto, lequel met en scène tout un peuple réduit en esclavage et en quête de sa patrie où honorer son Dieu, Jéhovah.

 

A Genève,
le Nabucco de Christiane Jatahy
prend aux tripes et parle au cœur…

 

 

Certes, tous les procédés dont elle use ici (certains diront abuse…) sont déjà connus des spectateurs assidus des salles lyriques, mais ils n’en demeurent pas moins diablement efficaces, concourant à un spectacle qui prend aux tripes et parle au cœur. Alors oui, les miroirs qui montrent la scène en contrebas et qui s’inclinent parfois pour renvoyer sa propre image à la salle, ce parterre d’eau dans lequel les personnages trébuchent, pataugent ou s’y battent, ces images tournées “en live” par deux cameramen et projetées sur écran géant, ces choristes disséminés dans la salle (certains au milieu même des spectateurs du parterre…), les lumières qui se rallument pour le final (et mieux interpeller l’audience…), nous en avons déjà fait l’expérience (pas tous en même temps cependant…), mais si c’est pour mieux débarrasser tous les “oripeaux” du drame antique (avec son fatras habituel de décors et costumes somptueux), si c’est pour mieux mettre en avant ce qui en est la “substantifique moelle”, et offrir au regard toute la résonance de cette histoire avec notre monde chaotique et souffrant d’aujourd’hui, et bien on peut dire que le pari est réussi.
D’autres pourront aussi trouver incongrues les notes de musique contemporaine (alla Arvo Pärt) écrites par le chef Antonino Fogliani qui font suite au finale original de Verdi qui s’achève sur la mort de l’héroïne (qui au passage ne meurt pas ici mais rejoint le peuple qu’elle a préalablement martyrisé…), suivies par une séquence d’une rare force émotionnelle où les 60 membres du Choeur du Grand-Théâtre ont à nouveau investi (les mesures ajoutées servant à ça…) les quatre niveaux de la salle pour entonner, cette fois “a capella”, le sublime “Va pensiero”. A peine finit-il l’air (dans un quasi murmure) que toute la salle se lève comme un seul homme pour offrir illico une standing ovations aux artistes – une expérience inédite pour nous qui fréquentons ce théâtre depuis 25 ans maintenant : c’est dire l’émotion et même l’empathie ressenties par le public genevois à l’issue de ce spectacle d’un rare impact émotionnel et dramatique !

Dans le rôle-titre, en alternance avec Nicola Alaimo, le baryton russe Roman Burdenko – bien qu’à la voix moins vaillante et puissante que son collègue italien -, parvient en revanche à conférer une subtilité inespérée au roi grandiose et désespéré ; avec une sensibilité à fleur de peau (que l’on retrouvera au moment des saluts, où il se montre au bord des larmes, envahi par l’émotion que fait naître en lui la magnifique ovation que le public lui adresse…), il fait de toute la quatrième partie un grand moment d’émotion, avec un confondant métier d’acteur.
En termes de jeu scénique, Saioa Hernandez n’a rien à lui envier, une flamme intérieure ne la quittant pas la soirée durant, de même qu’elle offre un instrument riche, capable de soutenir la tessiture meurtrière d’Abigaille. De fait, la soprano espagnole possède – et plutôt deux fois qu’une ! – l’engagement farouche et l’insolence dans l’émission que requiert cette femme assoiffée de pouvoir, prête à tout pour atteindre son but. Et sa rage et sa véhémence font d’autant plus impression ici, qu’elle maîtrise également la cantilène “Anch’io dischiuso” avec un rare sens et maîtrise du son émis piano.
De son côté, la superbe mezzo croate Ena Pongrac apporte à Fenena une séduction et un raffinement rare dans l’émotion, délivrant un superbe “O splendordegli astri, addio”, tandis que le ténor italien Davide Giusti campe un Ismaele de beau métal et d’un style parfait. Le rôle écrasant de Zaccaria était tenu par la basse italienne Riccardo Zanellato qui, après des débuts incertains avec une ligne de chant quelque peu fluctuante, se rattrape par la suite, et l’on ne peut nier le rayonnement qu’il confère au Grand Prêtre juif. Les autres rôles, le Grand Prêtre de l’américain William Meinert et l’Abdallo du ténor italien Omar Mancini, n’appellent que des éloges, et l’on réservera une mention toute particulière pour le petit rôle d’Anna, dévolu à la très attachante soprano Giulia Bolcato, qui possède une voix superbement timbrée et naturellement puissante, capable de planer au dessus des ensembles.

Dans la fosse et du côté des chœurs, le bonheur est également entier. Grand habitué des lieux, le chef italien Antonino Fogliani ne se contente pas de battre la mesure et d’accuser le profil martial de la partition. Il obtient de son orchestre des couleurs, une dynamique, une souplesse qui donnent un sens au discours verdien. De son côté, le chœur s’avère aussi chaleureux que nuancé et par deux fois, donc, le sublime « Va pensiero » est abordé pianissimo, pour ensuite s’envoler et finir à sur une note “mourante”.

Après le fracassant succès de “Lady Macbeth de Mzenk” en avril dernier in loco, le Grand-Théâtre de Genève consolide sa place parmi les théâtres lyriques européens les plus brillants et innovants de notre temps (aux côtés du Teatro Real de Madrid, du Théâtre Royal de La Monnaie et de l’Oper Frankfurt… et bien loin devant l’Opéra de Paris ou le Covent Garden de Londres…) !

 

 

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CRITIQUE, opéra. GENÈVE, Grand-Théâtre, le 22 juin 2023. VERDI : Nabucco. R. Burdenko, S. Hernandez, R. Zanellato, D. Giusti. A . Fogliani / C. Jatahy. Photos © Carole Parodi

 

VIDÉO : Trailer de “Nabucco” selon Christiane Jatahy au Grand-Théâtre de Genève

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