jeudi 24 avril 2025

CRITIQUE, opéra. LAUSANNE, le 23 février (et jusqu’au 2 mars) 2025. MOZART : Mitridate. P. Fanale, L. OLiva, A. Zöhrer, A. Sanz… Emmanuelle Bastet / Christoph Spering

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

La production de Mitridate, re di Ponto de W. A. Mozart présentée à l’Opéra de Lausanne est une célébration du pouvoir des voix, de la musique et des émotions. Sans recourir à des concepts modernisateurs ou à des décalages anachroniques, cette mise en scène d’Emmanuelle Bastet et la direction musicale d’Andreas Spering offrent un spectacle d’une élégance rare, porté par une distribution vocale exemplaire et une interprétation orchestrale subtile. Pendant près de trois heures, le public est captivé par les tourments amoureux et les conflits familiaux d’un quintette de personnages désemparés : un roi et ses deux fils, tous trois épris de la même femme. Les thèmes universels du désir, de la jalousie et de la trahison sont explorés avec une intensité qui rivalise avec la musique frémissante de Mozart, trop rarement jouée.

 

Le spectacle baigne dans une atmosphère bleutée, évoquant à la fois la Méditerranée antique et un espace mental abstrait. Le scénographe Tim Northam a choisi la phtalocyanine, un pigment profond et mystérieux, qui oscille entre l’outremer et un noir bleuté en fonction des éclairages. Ce bleu, à la fois intemporel et suggestif, sert de toile de fond à un décor mobile composé d’escaliers qui glissent lentement sur scène, créant des espaces tantôt intimes, tantôt oppressants. Ces escaliers deviennent des lieux de confidence, de solitude ou de méditation douloureuse, tandis que des rideaux de fils bleus ajoutent une dimension labyrinthique, reflétant le trouble intérieur des personnages. Les costumes, inspirés par un Orient théâtral alla Véronèse, mêlent étoffes soyeuses et détails baroques. Mitridate arbore un manteau à col de loutre, tandis que les princes adoptent un négligé chic de jeunes cavaliers romantiques. La mise en scène évite toute référence historique précise, préférant plonger le spectateur dans un univers onirique où seuls comptent les sentiments et les conflits humains.

Composé par Mozart à l’âge de quatorze ans, Mitridate est une œuvre qui transcende les conventions de l’opera seria. Bien que structuré autour des airs da capo traditionnels, il révèle déjà l’audace mélodique et l’expressivité qui caractériseront les chefs-d’œuvre de la maturité du compositeur. Andreas Spering, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, dirige avec une maîtrise remarquable, sculptant chaque phrase musicale avec précision et sensibilité. Les cordes veloutées, les vents savoureux et les ponctuations dynamiques créent une balance parfaite entre la fosse et le plateau, sans jamais couvrir les voix.

 

 

La distribution est portée par des interprètes d’exception, à commencer par la soprano franco-catalane Lauranne Oliva, en Aspasia, qui se distingue par son timbre chaud, son legato impeccable et sa capacité à incarner la noblesse tragique de son rôle. Son duo avec Sifare, interprété par la soprano gréco-autrichienne Athanasia Zöhrer, est un moment de grâce absolue, où les voix s’entrelacent avec une sensualité qui préfigure les héroïnes mozartiennes à venir. Zöhrer, également impressionnante dans son air « Pallide ombre », déploie une virtuosité et une intensité émotionnelle qui captivent l’auditoire. Le ténor italien Paolo Fanale, dans le rôle-titre, relève avec bravoure les défis techniques d’une partition exigeante, alternant entre tendresse et fureur. Son interprétation, à la fois vocale et théâtrale, donne à Mitridate une dimension humaine et complexe. Le contralto croate Sonja Runje, en Farnace, apporte une profondeur troublante à son personnage, notamment dans son air de repentir « Già dagli occhi il velo è tolto », où la beauté de ses graves et la noblesse de son phrasé touchent au sublime. Aitana Sanz, en Ismène, incarne la pureté et la sincérité avec une fraîcheur vocale et des suraigus éblouissants. Le contre-ténor italien Nicolò Balducci et le ténor suisse Rémy Burnens, respectivement en Arbate et Marzio, complètent cette distribution avec brio, démontrant une maîtrise impeccable du chant orné.

Cette production, qui sera reprise en avril prochain à Montpellier (sous la direction de Philippe Jaroussky et avec une distribution essentiellement différente), est une réussite totale. Elle rappelle que l’opera seria, loin d’être une forme figée, peut être d’une modernité et d’une intensité bouleversantes. Le public, visiblement surpris et ravi, a réservé une ovation chaleureuse à cette interprétation qui allie élégance visuelle, profondeur musicale et engagement théâtral. Mitridate à Lausanne est une preuve éclatante que les passions humaines, portées par la musique de Mozart, restent intemporelles et universelles.

 

 

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CRITIQUE, opéra. LAUSANNE, le 23 février (et jusqu’au 2 mars) 2025. MOZART : Mitridate. P. Fanale, L. OLiva, A. Zöhrer, A. Sanz… Emmanuelle Bastet / Christoph Spering. Toutes les photos © Carole Parodi

 

 

 

VIDÉO : Teaser de « Mitridate » de Mozart selon Emmanuelle Bastet à l’Opéra de Lausanne

 

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