dimanche 20 avril 2025

CRITIQUE, opéra. LYON, Opéra, le 29 mars 2023. JANACEK : Katia Kabanova. Elena Schwarz / Barbara Wysocka.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

 

 

 

 

Une mise en scène spectaculaire, très convaincante, un casting exemplaire et une direction efficace pour cette nouvelle production lyonnaise très féminine du chef-d’œuvre de Janáček.

 

 

Sur scène un immeuble miteux de 3 étages, au décor glauque, évoquant l’esthétique des immeubles soviétiques, image puissante de la société patriarcale évoquée dans l’opéra. Un escalier extérieur relie les deux parties de l’immeuble, tandis que sur le côté droit de la scène un tourniquet non moins décati, sert à amuser deux enfants qui passent de temps en temps. La mise en scène de Barbara Wysocka est sans concession, volontairement crue et dérangeante, puissamment précise dans la psychologie des personnages, d’autant plus efficace que l’œuvre est dense, sans temps mort ; elle est renforcée par les décors arides et oppressants de Barbara Hanicka, les costumes contemporains de Julia Kornaka et les lumières crues de Bénédict Zehm. 

 

Katia ou la cité des femmes 
CORINNE WINTERS, magistrale Katia…

 

 

 

 

La lecture de la metteuse en scène polonaise souligne moins la victimisation de l’héroïne que son désir irrépressible de liberté. L’échec de sa liaison avec Boris Grigorievitch, qui finira par l’abandonner, sa complicité avec son amie Varvara, plus heureuse avec son amant Vania Koudriach, qui parviendront à fuir Moscou, la pousseront à se jeter dans la Volga, incapable de trouver un quelconque espace de liberté dans une société conçue par et pour les hommes.

Dans le rôle-titre, Corinne Winters, qui a déjà incarné Katia à Salzbourg et à Genève en octobre dernier, est magistrale de présence scénique, magnifiée par une voix large et puissante, elle y déploie toute la gamme des affects, amoureuse transie et fébrile en présence de son amant, littéralement tétanisée face aux objurgations de son odieuse belle-mère. Boris est incarné par Adam Smith, ténor racé au timbre lumineux et aux aigus perçants qui jamais ne trahissent un défaut d’élocution ; il fait preuve lui-aussi d’une vaillance scénique remarquable. La jeune Varvara, sans doute le personnage le moins sombre de l’intrigue, est brillamment défendue par la mezzo Ena Pongrac, voix à la fois solaire et délicate qui éclaire tel un astre le sombre tableau du drame. Dans le rôle de Thikon, l’époux de Katia, le ténor Oliver Johnston est en phase avec son personnage : voix de ténor plus légère, écrasée par sa mère, qui a les traits et la voix stentoréenne de Natascha Petrinsky, elle aussi remarquable de fureur contenue, dont les cris parfois stridents convainquent moins par leur charme alliciant que par la causticité dramatique qui s’en dégage et qui sied parfaitement au personnage. Celui de Koudrach est superbement campé par le ténor Benjamin Hulett, à la voix ample et très bien soutenue, tandis que dans le rôle de Dikoï, on retrouve avec bonheur Williard White qui, malgré ses cinquante ans de carrière et moins d’éclat dans la voix, émerveille par la profondeur et la stabilité d’un timbre qui là encore colle au plus près au caractère du personnage malmené par son épouse acariâtre. Le rôle discret de Kouliguine est somptueusement défendu par le ténor Pawel Trojak, membre du Lyon Opéra Studio, dont la voix bien affermie et d’une sonorité roborative, fait merveille. Les autres membres de l’Opéra Studio, Karine MotykaGiulia ScopellittiAlexandra Guérinot et Robert Lewis, remplissent idéalement leur rôle respectif. 

Comme toujours préparés avec talent et précision par Benedict Kearns, les Chœurs font preuve d’une grande maîtrise dans la diction et d’une homogénéité de l’ensemble, renforcés par une non moins dynamique présence scénique.

Dans la fosse, la cheffe Elena Schwarz dirige avec fougue les forces de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, même si on eût souhaité un peu plus de nuances dans la gestion de cette riche matière sonore. Au final, une production presque exclusivement féminine qui n’est pas loin d’être une référence et permet à l’Opéra de Lyon, après l’annulation de l’opéra de Boesmans prévu en juin, de conclure sa saison en beauté.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. LYON, Opéra, le 29 mars 2023. JANACEK /Janáček : Katia Kabanova. Corinne Winters (Katia Kabanova), Natascha Petrinsky (Marfa Kabanova), Adam Smith (Boris Grigorievitch), Oliver Johnston (Tikhon Ivanovitch Kabanov), Ena Pongrac (Varvara), Benjamin Hulett (Vania Koudriach), Williard White (Saviol Prokofievitch Dikoi), Karine Motyka (Glacha), Pawel Trojak (Kouliguine), Giulia Scopellitti (Feklouchka), Alexandra Guérinot (Une femme du peuple), Robert Lewis (Un passant), Barbara Wysocka (Mise en scène), Barbara Hanicka (Décors), Julia Kornaka (Costumes), Benedict Zehm (Lumières), Benedict Kearns (Chef des chœurs), Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Elena Schwarz (Direction). Photos © JL Fernandez – A l’affiche de l’Opéra de Lyon, jusqu’au 13 mai 2023

 

 

 

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