mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, opéra. MILAN, Teatro alla Scala, le 12 juillet 2024. PUCCINI : Turandot. Anna NETREBKO / Davide Livermore / Michele Gamba.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Après la Rondine en avril dernier, le Teatro alla Scala achève les célébrations du centenaire (de la disparition) de Giacomo Puccini avec l’ultime opus du compositeur. Un spectacle flamboyant, un régal pour les yeux et les oreilles, malgré une Anna Netrebko peu convaincante et une direction poussive.

 

Une opulente Turandot du centenaire

 

 

C’est en effet à La Scala que fut créée, posthume, le 26 avril 1926, cette Turandot inachevée, dirigée par Toscanini qui interrompit la représentation après le cortège funèbre de Liù, là où s’arrêta la partition autographe de Puccini ; deux jours plus tard fut représentée la version complétée par Alfano. Pour cette production du centenaire, des lumignons électriques furent distribués aux spectateurs qui les allumèrent au moment où apparut le portrait du compositeur sous-titré « Ici mourut Puccini », les mots mêmes que prononça Toscanini le jour de la création de l’œuvre.

La mise en scène confiée au turinois Davide Livermore ne manque pas d’attraits : une évocation de Pékin à la fois intemporelle et moderne (les maisons mêlent style ancien et bâtiments plus contemporains ornés d’enseignes lumineuses), une fluidité dans la direction d’acteurs grâce à un habile jeu de rideaux de scènes qui tour à tour se lèvent et s’abaissent pour faire apparaître les chœurs ou le peuple, une scénographie grandiose, notamment au deuxième acte, signée de Livermore lui-même, de Eleonora Peronetti et Paolo Gep Cucco, et surtout les somptueux costumes de Mariana Fracasso contribuent au plaisir permanent des yeux, rappelant que Turandot est d’abord un opéra spectaculaire. La tonalité grise et sombre d’un paysage urbain digne de certaine périphérie orientale du premier acte, laisse la place à un univers plus coloré, celui féérique de la cour impériale au deuxième acte, puis à un plateau dépouillé, dominé par une immense lune, lors du duo final, tandis que les lumières d’Antonio Castro et les vidéos théâtralement efficaces (la lune changeante de couleur et d’aspect, déployant des fluides tour à tour rouge et noir, révélant un somptueux arbre aux feuillages rouge intense, et qui finit par faire apparaître un crâne) du collectif D-Wok soulignent la dimension onirique et fabuliste de l’intrigue.

La singularité de la lecture de Livermore éclate au premier acte, qui accorde une importance inédite au prince de Perse, interprété par un performer (Haiyang Guo, excellent) au physique avantageux (il apparaît in fine dans le plus simple appareil), entouré d’autres excellents danseurs magistralement dirigés. Le deuxième acte, fastueux, l’est sans doute un peu trop, en particulier lors de la scène des énigmes (la masse des figurants sur scène échappe parfois à une gestion contrôlée), mais on apprécie l’idée de l’énigme qui prend subitement flamme chaque fois que celle-ci est résolue par Calaf ; Turandot est en outre doublée par un mime qui symbolise son ancêtre violée, idée intéressante mais dispensable. Et le cheval transparent et mobile, manipulé par trois hommes qui déambule tout au long de la production est d’un effet impressionnant mais dont la pertinence paraît douteuse.

On attendait bien sûr la performance d’Anna Netrebko dans le rôle-titre. Il faut bien avouer que la diva a perdu de sa superbe : son timbre est apparu forcé, notamment dans les aigus, l’émission poussive et parfois même instable ; nous l’avons trouvé bien plus convaincante et émouvante dans le registre grave et médian et surtout dans les magnifiques pianissimi qui ont égrené sa prise de rôle. Originellement destiné à Roberto Alagna qui a dû déclarer forfait pour raisons de santé, le rôle de Calaf a été parfaitement défendu par Brian Jagde. Le ténor américain a fait montre d’une vaillance remarquable, réservant au public un « Nessun dorma » vigoureux et attentif au texte, loin de toute caricature belcantiste. Rosa Feola campe une Liù magnifique de grâce et de nuance, d’une musicalité rare et à la diction sans faille : c’est de loin, l’interprète le plus convaincant. En Timur, Vitalij Kowaljow impressionne à la fois par sa voix de basse caverneuse et par sa présence scénique, et si le vétéran Raúl Giménez déçoit un peu par son jeu statique et son chant maniéré, Sung-Hwan Damien ParkChuan WangJinxu Xiahou, respectivement Ping, Pang et Pong, séduisent par leur voix bien projetée et leur désinvolture rafraîchissante, malgré une prononciation de l’italien parfois aléatoire. Les autres interprètes secondaires remplissent parfaitement leur rôle : le mandarin Adriano Gramigni, les deux servantes Flavia Scarlatti et Marzia Castellini, issue du chœur du Théâtre de la Scala, tandis que le chœur des Voix Blanches est superbement dirigé par Marco de Gaspari, à la fois compact, puissant, éloquent.

Dans la fosse, Michele Gamba dirige la phalange de l’opéra en accentuant exagérément la dimension tragique de l’œuvre par un volume sonore du plus mauvais effet ; l’excès de décibels couvre très souvent les voix et néglige les nombreuses finesses de la partition, dont les effets « exotiques » apparaissent à l’inverse trop explicitement. Rien de plus difficile que d’atteindre l’équilibre des pupitres et de faire montre de nuances, surtout pour l’une des partitions les plus bigarrées de Puccini. Au final, un spectacle des plus agréables, scéniquement d’une rare opulence, malgré un rôle-titre décevant et une direction quelque peu poussive.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. Milan, Teatro alla Scala, Puccini, Turandot, 12 juillet 2024. Anna Netrebko (Turandot), Raúl Giménez (L’Empereur Altum), Vitalij Kowaljow (Timur), Brian Jagde (Calaf), Rosa Feola (Liù), Sung-Hwan Damien Park (Ping), Chuan Wang (Pang), Jinxu Xiahou (Pong), Adriano Gramigna (Un mandarin), Flavia Scarlatti (Première Servante), Marzia Castellini (Seconde Servante), Haiyang Guo (Le prince de Perse), Davide Livermore (mise en scène), Eleonora Peronetti, Paolo Gep Cucco, Davide Livermore (décors), Mariana Fracasso (costumes), Antonio Castro (lumières), D-Wok (video), Orchestre et chœur du théâtre de la Scala, Michele Gamba (Direction).

 

 

TEASER VIDÉO : Anna Netrbko chante « In questia regia » dans Turandot de Puccini et dans la mise en scène de Davide Libvermore pour le Teatro alla Scala de Milan

 

 

 

 

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La TURANDOT de Netrebko en … 2016

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