mardi 13 mai 2025

CRITIQUE, opéra. MILAN, Teatro alla Scala, le 4 avril 2024. PUCCINI : La Rondine. M. A. Sicilia, M. Lippi, P. Spagnoli… Irina Brook / Riccardo Chailly.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Avant une Turandot en juin prochain, le Teatro alla Scala de Milan célèbre le centenaire de la disparition de Giacomo Puccini avec le moins aimé des chefs-d’œuvre du compositeur toscan. Une réussite presque totale sur le plan vocal, à peine entachée par une direction roborative mais manquant de nuances, et une mise en scène sans grande envergure, mais visuellement splendide.

 

La rondine a fait le printemps

 

 

Ce n’est que la troisième fois que La Rondine est présentée dans le temple de l’art lyrique milanais, après une production en 1940 dirigée par Gino Marinuzzi, celui-là même qui créa l’œuvre à Monte-Carlo le 27 mars 1917, et en 1994 sous la direction de Gianandrea Gavazzeni, avec la mémorable lecture de Nicolas Joël (que nous avions vue à Toulouse en 2017). Cette nouvelle production a le mérite de dépasser le dilemme du genre (opérette ou opéra comique) : Irina Brook a opté pour une mise en scène naïve et désinvolte, presque de carte postale, avec les décors de Patrick Kinmonth qui évoquent les splendeurs du music hall (des guirlandes de lampions servent ainsi d’écrin à des boys chamarrés et des jeunes filles en fleur aux chapeaux gigantesques). La metteuse en scène a même un double avec le personnage de la chorégraphe Anna – personnage imaginaire et metteuse en scène d’opéra débutante – qui donne des indications gestuelles aux interprètes, dans une mise en abîme théâtrale plutôt efficace, mission interrompue au deuxième acte, quand le cabaret Bullier, grouillant de figurants, se transforme en véritable cauchemar, tandis que le troisième acte, qui montre une plage et une mer délicieusement rétro, laisse entrevoir la scène des actes précédents dépouillée, avec pour seule indication « exit », mettant ainsi fin symboliquement à l’illusion sentimentale des protagonistes. Le désordre initial est rétabli, les conventions sociales sont préservées.

La distribution réunie pour cette production a tenu en partie ses promesses, y compris pour les rôles secondaires. Dans le rôle-titre, Mariangela Sicilia campe une Magda impeccable vocalement et scéniquement, jouant avec brio l’ambiguïté du personnage. Son air fameux, « Chi il bel sogno di Doretta » est interprété avec passion, et une grâce infinie, tandis que dans son deuxième air (« Ore dolci e divine »), elle impressionne par ses magnifiques notes filés. Rosalia Cid est une Lisette pleine d’autorité, au timbre richement sonore et superbement projeté, et à la présence scénique qui rappelle les actrices américaines des années Cinquante. Les rôles masculins sont un léger cran en dessous : si Giovanni Sala joue à fond la désinvolture ridicule du personnage de Prunier, son jeu est quelque peu excessif, et s’il fait preuve d’une belle aisance dans les aigus, on l’entend moins dans les graves, ce qui a pour effet de minimiser ses réels talents d’acteur ; à l’inverse, Matteo Lippi est vocalement parfait dans le rôle de Ruggero, mais semble scéniquement gauche et d’une raideur dommageable ; à sa décharge, le personnage est il est vrai sans grande consistance. Le vétéran Pietro Spagnoli incarne avec dignité et noblesse un Rambaldo de belle tenue, d’autant que son personnage intervient essentiellement dans un recitar declamando qui requiert une parfaite diction. Les autres interprètes, amies et amis de Magda, ne déméritent guère, par leur abattage scénique et une idoine caractérisation vocale, notamment Aleksandrina Mihaylova (Yvette), Martina Russomanno (Bianca), Andrea Niño (Suzy), Renis Hyka (Adolfo), William Allione(Périchaud), Pierluigi D’Aloia (Gobin), Wonjun Jo (Crebillon).

En fosse, Riccardo Chailly défend avec passion cette partition qui compte parmi les plus raffinées du compositeur (avec La fanciulla del West) : les nombreux tempi de valse, de fox-trot, de polka ou encore de tango, sont on ne peut plus délectables, mais sa direction appuie, non sans quelque effet positif, les parties les plus emphatiques et tonitruantes de l’œuvre, en étant toutefois moins convaincant, car moins impliqué, dans les parties plus chambristes et dans les passages plus « suspendus » qui eussent exigés un peu plus de légèreté. Au final, une production vocalement passionnante, surtout pour le rôle principal, une direction en demi-teintes et une mise en scène très personnelle mais qui fonctionne plutôt bien. Ne boudons pas notre plaisir : on ne peut qu’encourager les théâtres à sortir des sentiers battus et à reprogrammer plus souvent cette œuvre hybride, singulière et très attachante.

 

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CRITIQUE, opéra. MILAN, Teatro alla Scala, le 4 avril 2024. PUCCINI : La Rondine. Mariangela Sicilia (Magda), Rosalia Cid (Lisette), Matteo Lippi (Ruggero), Giovanni Sala (Prunier), Pietro Spagnoli (Rambaldo), William Allione (Périchaud), Pierluigi D’Aloia (Gobin), Wonjun Jo (Crebillon), Aleksandrina Mihaylova (Yvette), Martina Russomanno (Bianca), Andrea Niño (Suzy), Renis Hyka (Adolfo), Cristina Injeong Hwang (Georgette), Serena Pasquini (Gabriella), Silvia Spruzzola (Lolette), Luca Di Gioia (Un jeune homme), Giordano Rossini (Rabonnier), Andrea Semeraro (Un étudiant), Giuseppe Capoferri (Un majordome), Michele Mauro (Voix hors scène), Sarah Park, Vittoria Vimercati, Alessandra Fratelli (Trois jeunes filles), Irina Brook (mise en scène), Patrick Kinmonth (décors et costumes), Marco Filibeck (lumières), Orchestre et chœur du théâtre de la Scala, Riccardo Chailly (Direction). Photos (c) Crédit Brescia Amisano / Teatro alla Scala.

 

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