mercredi 16 avril 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Auditorium Olivier Messiaen, Opéra Bastille, le 11 mars 2025. HAYDN : L’Isola disabitata, A. Portelli, I. Anthony, C. Frank, L. Wei… Simon Valastro / François Lopez-Ferrer

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Josef Haydn est un compositeur qui souffre depuis près de 40 ans du fichu quart d’heure d’oubli qui est souvent imposé par les programmations ou des avis trop hâtifs sur son œuvre. Comparé sans cesse avec Mozart, Haydn souffre de cette évaluation artificielle et vaine qui pèche par simplisme. Les opéras de Haydn n’ont pas l’air aussi flamboyants que ceux de Mozart à première vue. Outre la houppelande du « génie maudit » que Mozart continue à porter malgré lui, Haydn a eu un talent dramatique extraordinaire. On n’a qu’à lire ou entendre ces opéras d’une humanité formidable où le comique est toujours un peu brisé par des blessures. Que ce soit Orlando Paladino, Armida, La fedeltà premiata ou bien d’autres, les opéras de Haydn demeurent une manne encore inexplorée à tort. Ce fut alors une vraie joie de découvrir que l’Académie de l’Opéra national de Paris a programmé L’Isola disabitata

 

L’Isola disabitata a été créée en 1779 à Esterhaza et reprise en 1780. Entre-temps, le manuscrit original, ainsi que beaucoup d’autres œuvres de Haydn ont brûlé dans l’incendie du petit opéra en novembre 1779. Selon Marc Vignal, l’œuvre n’est connue que par une copie. Haydn retravaillera la partition à la fin de sa vie en 1802. Cette partition est un opéra quasiment de chambre, le livret de Metastasio est resserré avec seulement quatre personnages et une unité de lieu et de temps. Si d’autres ont adapté ce même livret avant ou après Haydn, c’est sa version qui propose une vision musicale inventive. L’histoire ressemble à ces romans de sauvetage qu’affectionnait l’époque, une fable Sturm und Drang dans un lieu désolé et sauvage où l’amour fait des siennes malgré des quiproquos. 

La semblable simplicité de l’action ne fait que cacher une intrigue morale ou c’est l’amour conjugal qui l’emporte à la fin. Musicalement chaque personnage est un leitmotiv digne des plus grandes pages de Zauberflöte. Tout cela a donné à Simon Valastro une idée de décor unique qui épouse parfaitement bien l’espace de l’Auditorium Olivier Messiaen. Malgré la présence inopinée et agaçante d’un danseur, cette espèce de mégalithe volcanique échoué tel un navire au milieu de l’espace scénique est assez efficace. Ce décor évoque la désolation de l’île inhabitée. La direction d’acteurs est correcte sans qu’elle soit extraordinaire. Simon Valastro explore plutôt bien ce livret qui aurait pu tomber dans les profondeurs de la mièvrerie. 

Côté solistes, nous retrouvons les jeunes talents de l’Académie de l’Opéra national de Paris qui nous avaient émerveillé dans le Gala Bizet au Palais Garnier. Dans le rôle de Costanza, la mezzo-soprano Amandine Portelli a un timbre riche doublé d’une présence théâtrale manifeste. Cependant, il nous a semblé que les aigus manquaient parfois de brillance. Face à elle le ténor Liang Wei doté d’une très belle voix mais n’ayant pas l’épaisseur théâtrale encore pour le rôle de Gernando. En revanche, Clemens Frank nous réjouit vocalement et histrioniquement en Enrico ! Il est juste parfait pour le rôle et sa tessiture porte des couleurs fantastiques. On n’aurait pas pu rêver mieux que la fabuleuse Silvia d’Isobel Anthony, soprano à la justesse impressionnante et qui nous ravit par la fraîcheur de son incarnation, et ses solides moyens techniques doublés d’un timbre explosant de beautés.

L’Orchestre Ostinato est correct et mené par la direction sensible de François Lopez-Ferrer. Nous aurions souhaité que les obligati du quatuor final aient plus de volume mais nous avons goûté cette belle exploration insulaire avec grand plaisir.

À la fin l’amour ardent aux limbes d’un océan imaginaire nous a porté comme une nef dans le fin fond des questionnements amoureux. Et si le feu qui a consumé pour toujours le manuscrit de Haydn a jailli de ce quatuor passionné qui a fait une éruption constante dans les entrailles de l’Opéra Bastille alors qu’au-dessus la princesse endormie attendait le baiser libérateur du prince de ses rêves.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Auditorium Olivier Messiaen, Opéra Bastille, le 11 mars 2025. HAYDN : L’Isola disabitata. A. Portelli, I. Anthony, C. Frank, L. Wei… Simon Valastro / François Lopez-Ferrer. Crédit photo © Vincent Lappartient – Studio j’adore ce que vous faites

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