Depuis sa création en 2005, cette production surtout visuelle, tant les projections vidéos de Bill Viola occupent tout du si vaste espace de Bastille, au point de reléguer les acteurs chanteurs au format lilliputien, a gagné en unité. Fusionner le parti minimaliste, style oratorio dépouillé et la vidéo envahissante continue de susciter les réactions (si l’on constate les huées d’une partie du public toujours remonté). Est-il toujours juste aujourd’hui d’opposer sur la scène, l’image et la musique ? Les chanteurs quant à eux sont noyés, dilués, dans une non couleur : vêtements noirs sur fond noir, à peine perceptible dans ce grand vaccum cosmico-psychédélique où domine la force obsessionnelle des images, souvent aquatique, d’un rite cathartique qui voudrait résumer le sens de nos vies.
Après Philippe Jordan, plutôt convaincant chez Wagner, que vaut le geste de son successeur Gustavo Dudamel ? De toute évidence, on retrouve son dynamisme et la puissance de son expressivité dès l’ouverture, jalonnant la première action du I, exposition des partis affrontés : celui de Tristan l’accompagnant / celui d’Yseult, la princesse promise au Roi Mark. Le chant de l’orchestre affirme une détermination qui séduit, d’autant que son implication rétablit l’équilibre avec la vidéo, comme on a dit, omniprésente.
Pour autant la subtilité pour exprimer l’ivresse extatique des deux amants nocturnes au II ; comme l’éloquence désenchantée de la prière du Roi Mark (saisi, martial car il constate la trahison de Tristan), comme la lente agonie mortifère de Tristan au III, surtout le liebstodt final…. manquent encore de cette profondeur alanguie, éperdue, mystérieuse ; l’envoûtement n’a pas lieu. La direction de Dudamel manque de profondeur comme de trouble, même si l’allant et l’intensité sont présents. C’était déjà les limites de ses Mahler.
Malgré un engagement scénique et dramatique réel, l’Américaine Mary Elisabeth Williams, membre de l’Atelier Lyrique de l’Opéra, déçoit par son chant plus éruptif (aigus acides) qu’élégiaque, éperdu. Comme pétrifiée, dans une mise en scène fixe, la soprano raidie, forcée, montre ses limites, comme le Mark d’Eric Owens, trop frêle et lui aussi, hiératique ; comme son en deçà des défis et du délire poétique de leurs personnages, la Brangäne d’Okka von der Damerau, et le Tristan, en difficulté qu l’empêche de rayonner véritablement du suédois Michael Weinius. Ryan Speedo Green en revanche tire son épingle du jeu en incarnant un Kurwenal qui frémit, bouillonne, perce dans son chant totalement habité, son aisance scénique. Si la projection vidéo fonctionne toujours, le choix des chanteurs, – pour les deux rôles titres, déçoit.
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 17 janvier 2023. WAGNER : Tristan und Isolde. Bill Viola, Dudamel.
Wagner : Tristan et Isolde – Paris, Opéra Bastille, 17 janvier, A l’affiche de l’Opéra Bastille, 17, 20, 23, 26, 29 janvier, 1er, 4 février 2023 – Réservations : www.operadeparis.fr – bit.ly/3QQ8TLq /
Richard Wagner (18813-1883). Tristan und Isolde, drame en 3 actes. Livret de Richard Wagner.
Mise en scène : Peter Sellars.
Vidéos : Bill Viola.
Avec Michael Weinius, Tristan ; Mary Elisabeth Williams, Isolde ; Eric Owens, König Marke ; Okka von der Damerau, Brangäne ; Ryan Speedo Green, Kurwenal ; Neal Cooper, Melot ; Maciej Kwaśnikowski, Tomasz Kumiega…
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction : Gustavo Dudamel.
Photos © Elisa Haberer & Vincent Pontet / Opéra national de Paris