lundi 1 juillet 2024

CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 19 juin 2024. SPONTINI : La Vestale. E. Hache, M. Spyres, J. Behr, E. M. Hubeaux… Lydia Staier / Bertrand de Billy.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Créée en 1807 à l’Académie Impériale de Musique, La Vestale de Gaspare Spontini (en hommage à l’Impératrice Joséphine, grande bienfaitrice du compositeur italien) a connu plus de deux cents représentations jusqu’en 1854, avant de disparaître des radars de l’Opéra National de Paris (une production scénique de l’ouvrage a cependant été donnée en 2013 au TCE)… jusqu’à cette résurrection, en ce mois de juin 2024, à l’Opéra Bastille – un ouvrage qui aurait trouvé un écrin plus favorable et adéquat au Palais Garnier, mais ne boudons pas notre plaisir de découvrir cet ouvrage grandiose, qui contient en lui tous les germes du Grand-Opéra français dont Rossini puis Meyerbeer se feront les principaux chantres…

 

 

La légende de Julia qui laisse s’éteindre le feu sacré dans le temple de la déesse Vesta à Rome a hanté les compositeurs de la moitié du XVIIIème siècle jusqu’à la moitié du XIXème, comme en témoignent une Vestale composée par Gluck en 1755, jusqu’à celle écrite en 1840 par Mercadante pour le Teatro di San Carlo de Naples. En 1807, Spontini – installé à Paris depuis quatre ans après avoir tenté de s’imposer (en vain) en Italie avec des ouvrages considérés comme mineurs – rencontre le librettiste Etienne de Jouy avec lequel il entame une longue collaboration. Nommé compositeur particulier de la Chambre de S.M. L’Impératrice en 1805, il écrit d’abord Julie ou le pot de fleurs (monté à l’Opéra de Rennes il y a quelques années…), avant cette Vestale, qui le consacre comme l’une des plus importantes personnalités de la musique en Europe, et lui assure – avec Fernand Cortez, Agnes von Hohenstaufen et Olympie (donnée assez récemment, de son côté, au Théâtre des Champs-Elysées…) – une très grande renommée.   

Trouver aujourd’hui une interprète capable de se mesurer au rôle si difficile de Julia (marqué par d’illustres devancières comme Maria Callas, qui interpréta l’héroïne dans une production restée légendaire, signée par Luchino Visconti pour La Scala de Milan en 1954) n’est pas chose évidente, surtout quand on paie de malchance avec le retrait de la chanteuse prévue, en l’occurrence la superbe soprano dramatique franco-sud-africaine Elza van den Heever, pour les deux premières représentations, pour raison de santé. Par bonheur, Alexander Neef a eu la main heureuse en confiant la “doublure” de Mme van den Heever à la soprano française Elodie Hache, qui nous a tout simplement éblouis le mois dernier dans le rôle de Hermosa dans le non moins rare Tribut de Zamora de Charles Gounod à l’Opéra de Saint-Etienne. Car le moins que l’on puisse dire, c’est que cette fabuleuse chanteuse – injustement écartée des plus grandes scènes nationales (et internationales !) qu’elle mérite – affronte avec beaucoup d’aplomb les périls de ce rôle terriblement tendu, et que ses infinies qualités vocales y rivalisent à parts égales avec ses superbes talents d’actrice. Elle surmonte sans grands efforts particuliers les redoutables écueils du deuxième acte avec noblesse et sensibilité, et son grand air du II “Toi que j’implore avec effroi” est particulièrement et méritoirement applaudi. 

 

 

Le baryténor américain Michael Spyres possède aujourd’hui les moyens exacts de Licinius, avec une voix ayant encore gagné en projection et en résonance dans le bas du registre, très sollicité dans ce rôle parfois plus proche du baryton que du ténor. L’aigu n’a rien perdu de sa lumière, et le phrasé impressionne par son intensité et son absence d’affectation. Impossible de trouver mieux aujourd’hui dans ce type de répertoire, dont La Vestale constitue l’un des premiers jalons. De son côté, la basse française Jean Teitgen possède la noblesse et l’autorité dans la déclamation que requièrent son personnage, tandis que la mezzo suisse Eve-Maud Hubeaux atteint l’idéal dans la tessiture impossible de la Grande Vestale. Même si elle est plus à l’aise dans l’aigu que dans le grave, elle réussit à lui conférer densité et émotion. Enfin, Julien Behr fait un sort à Cinna, avec son ténor puissant qui le rend très crédible au moment de prendre les oripeaux de chef à la place de Licinius…

Las, après avoir déçu avec une Salomé récemment reprise in loco, la metteure en scène américaine Lydia Staier nous inflige à nouveaux ses marottes, c’est-à-dire son goût prononcé pour les corps martyrisés et ensanglantés, et elle ne nous épargne rien dès le début avec ces cadavres pendus par les pieds depuis les cintres, et aussitôt des hommes lourdement armés violentant un homme à jardin, tandis qu’à court la Grande Vestale humilie à qui mieux mieux certaines de ses jeunes recrues, à qui elle inflige le fouet jusqu’au sang. Plusieurs scènes de corps dénudés, sanglant et agonisant plus tard, les coups de mitraillettes qui transforment le lieto fine du livret en carnage, contrariant ainsi non seulement les intentions du compositeur et de son librettiste, mais surtout saccage les sublimes derniers accords de la partition de Spontini. Comme la plupart de ses confrères adeptes du regietheater, elle essaie ici de plaquer l’un se ses romans de chevet sur le livret original, en l’occurrence La Servante écarlate de Margaret Atwood (qui dénonce le totalitarisme religieux…), et qui, s’il fait écho à notre triste époque et tisse des liens avec La Vestale, ne se réduit pour autant pas à ça… Les huées ont fusé dès le premier acte, et sans crier avec loups, avouons que La Vestale aurait certes mérité un meilleur traitement scénique…

Enfin, sans atteindre la grandiose direction de l’ouvrage qu’en a exécuté Riccardo Muti, le chef français Bertrand de Billy obtient de bien beaux accords de la part d’un Orchestre de l’Opéra National de Paris. Malgré quelques coupures, dont une grande partie des ballets, sa direction s’appuie sur la belle assise des cordes, dont la ligne est parfois agitée, et plus encore sur la couleur nostalgique du cor, instrument très sollicité dans la partition, qui donne ici beaucoup de noblesse à un spectacle qui en manque par ailleurs cruellement.

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 19 juin 2024. SPONTINI : La Vestale. E. Hache, M. Spyres, J. Behr, E. M. Hubeaux… Lydia Staier / Bertrand de Billy. Photo (c) Guerguena Damianova.

 

VIDEO : Teaser de « La Vestale » de Gaspare Spontini selon Lydia Staier à l’Opéra National de Paris

 

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