Présentée au festival d’Aix-en-Provence à l’été dernier, la nouvelle production de Samson de Jean-Philippe Rameau fait cette fois étape à l’Opéra-Comique : de quoi découvrir un ouvrage perdu et reconstruit en forme de pasticcio, suite au méticuleux travail opéré conjointement par Raphaël Pichon et Claus Guth, à partir du livret original écrit par Voltaire. Tout, dans ce spectacle, passionne, jusque dans ses excès d’enthousiasme dans la fosse.
Après le projet déjà audacieux de réunir des raretés schubertiennes dans une dramaturgie originale, appelée L’Autre voyage (voir l’an passé), Raphaël Pichon choisit à nouveau de sortir des sentiers battus, en se situant à mi-chemin entre reconstitution historique et création originale. Accusé d’impiété par la censure, Samson ne trouve en effet jamais le chemin de la scène, expliquant pourquoi la musique est recyclée entre plusieurs autres chefs d’oeuvre raméliens, ce qu’attestent plusieurs correspondances concordantes. Tel un archéologue à la recherche du moindre indice, le chef français s’est attaché à recréer cet ouvrage composé en 1734, dans la foulée du succès du premier opéra de Rameau, Hippolyte et Aricie.
Plusieurs éléments de la volonté initiale manifestée par Voltaire ont été respecté, comme la faible place des récitatifs et des divertissements dansés, mais aussi le choix d’une fin tragique, inhabituelle pour l’époque. D’autres choix sont plus contestables, tel que celui de renoncer à suivre la lettre du livret de Voltaire, afin de le réécrire au service d’une nouvelle dramaturgie. Il faut évidemment accepter ce parti-pris (assumé par le chef et le metteur en scène) pour donner sa chance au spectacle. Parmi les innovations, Claus Guth choisit de retourner au récit de l’Ancien testament, au moyen de nombreuses citations projetées, qui narrent la vie du héros depuis son enfance. Les références messianiques autour de la naissance de Samson, annoncée par un ange, prennent ainsi une place inattendue. Outre l’ajout du rôle de l’Ange, celui de la mère de Samson permet de recentrer l’histoire autour de sa tragédie personnelle, en victime collatérale des velléités guerrières infatigables de son fils. Les monologues interprétés par la comédienne Andrea Ferréol, au ton juste et déchirant, rythment l’action en donnant une autre temporalité, à même de donner une distance bienvenue par rapport aux événements passés.
La volonté de mettre en relief les musiques de Rameau avec une création contemporaine en « sound design » est moins indispensable, même si elle donne au spectacle une tonalité plus actuelle. Les ambiances éthérées agissent davantage comme des marqueurs de transitions, auxquels on s’habitue peu à peu. On préfère les autres aspects décisifs du spectacle, de la superbe scénographie revisitée par des éclairages variés et inventifs (notamment un immense néon qui s’abaisse horizontalement pour accentuer les événements surnaturels) à la direction d’acteur mouvante et bondissante, telle une chorégraphie. Les effets de ralentis ou d’immobilisme, toujours surprenants, opposent bien les deux camps en présence.
En dehors de quelques détimbrages en première partie de soirée, Jarrett Ott compose un Samson vibrant et incarné, d’une humanité très touchante. La prononciation idéale du français se pare d’un léger vibrato, admirablement projeté. On aime la voix puissante d’Ana Maria Labin (Dalila), certes moins à l’aise dans la diction, mais dont le caractère fait ressortir son timbre corsé. Parfois en difficulté dans les accélérations, Julie Roset (Timna) ravit dans les passages plus apaisés, faisant valoir des phrasés et un timbre délicieux. Aux cotés des superlatifs Laurence Kilsby (Elon) et Camille Chopin (l’Ange), seul Mirco Palazzi (Achisch) montre quelques limites dans les graves, tout en assurant l’essentiel.
Enfin, la direction de Raphaël Pichon emporte tout sur son passage, à force d’énergie incandescente dans les attaques, de tempi survitaminés et d’une volonté d’articulation prononcée. Cette direction « en technicolore« , aux forte omniprésents, donne un vent de jeunesse à Rameau, qui ne vise pas à faire l’unanimité. Ce geste tempétueux sait heureusement trouver le chemin d’une musicalité plus déliée dans les parties doucereuses, comme un baume apaisant, surtout en dernière partie de soirée.
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Comique, le 19 mars 2025. RAMEAU : Samson. Jarrett Ott (Samson), Ana Maria Labin (Dalila), Julie Roset (Timna), Mirco Palazzi (Achisch), Laurence Kilsby (Elon), Camille Chopin (l’Ange), Richard Pittsinger (Premier juge, un Convive), Andrea Ferréol (la Mère de Samson), Pascal Lifschutz (un sans-abri), Orchestre et choeur Pygmalion, Raphaël Pichon (direction musicale) / Claus Guth (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra-Comique jusqu’au 23 mars 2025. Crédit photo © Stefan Brion