mercredi 23 avril 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Élysées, le 28 mars 2025. MASSENET : Werther. B. Bernheim, M. Viotti, J-S. Bou, S. Hamaoui… Christof Loy / Marc Leroy-Calatayud

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Guillaume Berthon
Guillaume Berthon
Enseignant-chercheur en littérature, Guillaume Berthon est aussi un insatiable mélomane. Les billets qu'il écrit pour ClassiqueNews.com n'ont pas d'autre prétention que celle de partager son goût pour la musique, l'interprétation et les interprètes, en toute subjectivité.

Exemplaire Werther de Jules Massenet que donne en ce moment le Théâtre des Champs-Élysées pour une série de 6 représentations ! Exemplaire d’abord en cela qu’il est un drame en musique pleinement assumé, où l’on ne perd pas un mot des chanteurs, de l’impeccable couple de protagonistes aux silhouettes bouffonnes des deux ivrognes, en passant par les brillants très jeunes solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Exemplaire aussi par le choix d’un Werther et d’une Charlotte idéalement appariés, vocalement et scéniquement, qui rayonnent chacun à leur manière : soleil généreux d’une soirée de fin d’été pour elle, soleil noir de la mélancolie pour lui.

 

 

Marina Viotti est en effet une Charlotte d’un équilibre souverain, qui élabore patiemment sa mue de grande sœur aimante en épouse modèle puis en femme passionnée. Sa voix chaleureuse s’épanouit sur toute la tessiture, doublée d’une présence scénique d’un évident naturel. Difficile de croire qu’il s’agit là de sa première interprétation du rôle ! Benjamin Bernheim est quant à lui un Werther résolument ténor, juvénile et solaire, réussissant la quadrature du cercle par l’alliance des contraires : voix mixte subtilement dosée ou aigus de poitrine d’une puissance et d’une sûreté éclatantes ; chant à fleur de peau, tout d’émotion contenue (« Oui, c’est moi ! Je reviens »), lyrisme ravageur dans les élans amoureux du premier acte ou dans les vers d’Ossian. Bref, deux incarnations qui tutoient l’idéal et sont saluées chacune au 3e acte par des applaudissements spontanés d’une salle qui n’a pas pu réfréner plus longtemps son enthousiasme.

Autour d’eux, Jean-Sébastien Bou campe un Albert ambigu et complexe, très tenu vocalement, d’une blessure que la mise en scène exhibe. Il évolue sur une ligne de crête, où il manque à chaque pas de basculer dans la jalousie, la violence ou la folie. Également valorisée par la mise en scène, Sandra Hamaoui est une Sophie mutine, mais d’un timbre plus gourmand que les coloratures habituées au rôle : le sucre glace de son « air du rire » a comme un goût d’amertume. Les entourent de leur bonhomie un peu fruste, le bailli efficace de Marc Scoffoni et les Johann et Schmidt comiquement avinés de Yuri Kissin et Rodolphe Briand, excellents l’un comme l’autre.

À la tête des Siècles, Marc Leroy-Calatayud dirige Werther comme une grande arche, se délectant des sonorités typées de son orchestre historiquement informé. Dans l’acoustique toujours un peu sèche du Théâtre des Champs-Élysées, tout ressort plus crûment : la poésie suspendue de la nuit amoureuse du premier acte, les accords descendants et glacés de l’air des lettres, comme l’envoûtante mélopée du saxophone de l’air des larmes.

Étrenné à la Scala de Milan l’année dernière, le dispositif unique imaginé par Christof Loy et Johannes Leiacker (scénographie) est d’une froide efficacité. L’espace scénique est envahi par un immense mur tapissé évoquant un intérieur bourgeois et corseté, au milieu duquel trône une double porte coulissante qui laisse deviner un jardin d’hiver ouvrant lui-même sur un véritable jardin. Trois espaces symboliques donc : le proscenium, long couloir peu meublé où évolue Werther ; le jardin d’hiver, à peine entrevu, où le héros entrevoit (et idéalise) la vie de famille du bailli ; l’extérieur lointain, où se lit le passage des saisons et la glaciation progressive de l’intrigue. Une direction d’acteur soignée rend l’action parfaitement lisible ; elle semble parfois faire de Werther un jumeau d’Onéguine. La mise en scène ne s’éloigne délibérément du livret qu’au moment du suicide : muni des pistolets d’Albert, Werther franchit pour la première fois la double porte. Il en revient après l’interlude orchestral, se dressant comme un spectre, avant de s’effondrer, puis de se redresser, et ainsi de suite, ad libitum. Étrange agonie, à dire vrai, même pour le spectateur lyrique accoutumé aux morts lentes et bavardes. Mais pas de quoi faire dévier Marina Viotti et Benjamin Bernheim de leur trajectoire mémorable, justement ovationnée aux saluts par une salle conquise.

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Élysées, le 28 mars 2025. MASSENET : Werther. B. Bernheim, M. Viotti, J-S. Bou, S. Hamaoui… Christof Loy / Marc Leroy-Calatayud. Crédit photographique © Vincent Pontet

 

 

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