Ressuscitée en 2010 au Festival de Radio-France & Montpellier (nous y étions), la superbe partition qu’est Andromaque du compositeur liégeois André-Ernest-Modeste Grétry vient à nouveau d’être remise à l’honneur, à l’Opéra de Saint-Etienne, institution lyrique toujours prompte à redonner sa chance aux partitions injustement oubliées de notre répertoire national (à l’instar, dernièrement, de Dante de Benjamin Godard ou Lancelot de Victorin Joncières). L’ouvrage s’avère d’une urgence dramatique remarquable pour l’époque (1780), en s’affranchissant avec bonheur de la rigueur des opéras de Gluck ; il annonce l’impact plus immédiat que l’on retrouve chez Cherubini puis Berlioz. Sur un livret de Louis-Guillaume Pitra, poussant la révérence jusqu’à souvent citer le texte de Racine, Grétry évite de délayer, et signe un ouvrage d’à peine une heure trente (dont on aurait pu ici faire l’économie d’un entracte bien inutile, solution retenue à Montpellier pour une continuité dramatique préservée). Aucune lenteur ni développements anecdotiques ici, les airs – de formes diverses – s’enchaînant à de vifs récitatifs. Certaines scènes sont saisissantes, à l’image de celle de la folie d’Oreste à la toute fin de l’ouvrage. Le chœur se voit confier un rôle actif, ouvrant et clôturant la soirée.
Grétry a su dessiner les caractères vocaux. Andromaque est toujours grave et touchante, et la beauté naturelle du timbre de la mezzo française Ambroisine Bré, la noble puissance de sa déclamation, qui convient idéalement à une mère éplorée, en font assurément une grande tragédienne. La perverse Hermione est tout naturellement plus démonstrative, et Marion Lebègue assume ce brio, avec toute la fureur et l’éclat que sa superbe voix lui permet : elle sait traduire l’âme tourmentée de son personnage, à la fois dans le chant et la projection des mots (« C’en est fait ! Le parjure ! »). Déjà Pyrrhus à Montpellier, il y a 13 ans, le ténor ardéchois Sébastien Guèze possède une voix particulièrement bien placée et projetée, et il fait preuve autant de vaillance que de courage dans ce rôle particulièrement exposé ; son air « Je m’applaudis de ma victoire », au I, est notamment un vrai morceau de bravoure, comme l’est la scène de folie d’Oreste, « Est-ce Pyrrhus qui meurt, et suis-je Oreste enfin ? », auquel le jeune et brillant baryton français Yoann Dubruque fait un sort, malgré la tessiture grave et inconfortable de sa partie. Enfin, le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, parfaitement préparé par Laurent Touche, se montre d’une magnifique tenue, pour la diction du texte autant que pour sa solide cohésion
Confié à l’homme de théâtre Matthieu Cruciani, qui avait déjà mis en images la pièce de Racine dans cette même ville, la production s’avère d’une rare sobriété et économie de moyens. D’un plateau nu au I succède une scène envahit par de l’eau, faisant à priori écho aux « pleurs » évoqués par Andromaque dans cet acte (« Laissez-moi baigner de mes larmes »), tandis qu’apparaît un immense quadrilatère de marbre, suspendu au-dessus des personnages (scénographie de Nicola Mari). Les costumes conçus par Marie La Rocca mélangent époques et styles, par souci d’intemporalité des affres qui agitent les protagonistes. Au III, le plafond de marbre devient socle, la dalle mortuaire d’Hector sur lequel Andromaque se lamente. Rien d’inoubliable visuellement, mais une belle direction d’acteurs qui donne de l’épaisseur dramatique à chacun des quatre personnages de cette tragédie.
Enfin, cette passionnante partition trouve dans le chef italien Giulio Prandi un interprète particulièrement concerné. A la tête d’un Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire très bien disposé et superbement sonnant, il se montre toujours en phase avec le tempo soutenu de la pièce dont il met en valeur le dynamisme haletant.
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CRITIQUE, opéra. SAINT-ETIENNE, Grand-Théâtre Massenet, le 12 mars 2023. Grétry : Andromaque. A. Bré, S. Guèze, M. Lebègue, Y. Dubruque… M. Cruciani / G. Prandi. Photos © Cyrille Cauvet
TEASER VIDEO : Hervé Niquet dirige l’Ouverture d’Andromaque de Grétry :