samedi 19 avril 2025

CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie, le 8 décembre 2024. M. KARLSSON : Fanny and Alexander. S. Bullock, P. Tantsits, T. Hampson, A. S. von Otter, J. Weiner… Ivo Van Hove / Ariane Matiakh

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Au sein de ce véritable ovni opératique, signé Mikael Karlsson, la magie de Noël se retrouve rapidement obscurcie par les thèmes de la maltraitance infantile et de la mort. Fanny and Alexander est le troisième opéra (le deuxième adapté d’un film) de ce compositeur éclectique dont le catalogue s’étend de l’opéra à la BO de jeux vidéo. La concrétisation d’un projet initié par Ingmar Bergman Jr, lui-même.

 

La cheffe Ariane Mathiakh fait son entrée dans la fosse avec une oreillette. On comprend rapidement que la musique de Mikael Karlsson – que l’Opéra Bastille accueille en ce moment même avec son ballet Play – sera de type mixte : mi-orchestrale, mi-électronique. Des baffles discrètement disséminés dans la salle et sous la coupole nous le confirment : le compositeur entend « spatialiser » au maximum le son, quitte à le rendre « si massif qu’il en devient oppressant », selon ses propres mots. Le procédé se révèle d’une efficacité redoutable. En effet, l’électronique s’introduit progressivement dans le tissu orchestral à mesure que la situation des protagonistes empire : d’exubérante et joyeuse, voire pompier, la musique devient véritablement angoissante, installant un climat anxiogène à la limite de la pure épouvante.

 

L’atmosphère rendue doit beaucoup au travail de l’équipe visuelle, qui réalise là un sans-faute : qu’il s’agisse de la mise en scène d’Ivo Van Hove, de la réalisation vidéo signée Christopher Ash ou des décors de Jan Versweyveld. L’ambiance, ou plutôt les ambiances contrastées du foyer chaleureux des Ekdahl, de la demeure austère et sombre de l’Evêque Vergerus ou de la boutique de curiosités d’Isak Jacobi sont rendues à la perfection. Côté chanteurs, c’est également un sans-faute : Peter De Caluwe en revendique le casting qui ne compte pas moins de seize chanteurs solistes. Parmi ceux-ci, on retrouve des « stars » telles qu’Anne Sophie Von Otter (compatriote de Bergman et de Michael Karlsson, dans le rôle de Justina) et Thomas Hampson (le sinistre Evêque Vergerus), nouveau beau-père du héros Alexander. Thomas Hampson, qui se montre tour à tour caressant, effrayant, mystique ou violent, incarne un rôle tout bonnement détestable. Le duo qu’ils forment, lui l’Evêque et elle la perfide gouvernante complice, fonctionne à merveille aussi bien dramatiquement que musicalement.

 

Quant aux protagonistes éponymes de ce drame, Fanny et Alexander, ils sont incarnés par Lucie Penninck et Jay Wiener, tous deux issus du vivier de jeunes talents que représente les Chœurs d’enfants de la Monnaie. La performance de Jay Wiener, tout enfant qu’il est, est particulièrement impressionnante. Les autres membres de la « famille » sont incarnés par une ribambelle de talents issus de la scène nationale et internationale. Tout d’abord, la soprano dramatique anglaise Susan Bullock joue la matriarche de la famille et excelle dans ce chanté-parlé très brittenien. Le rôle d’Oskar, le père chéri trop tôt disparu dont le fantôme bienveillant vient apporter une lumière d’espoir à ses enfants, est tenu par le ténor américain Peter Tantsits dont les aigus rauques ajoutent une teinte à la fois dramatique et facétieuse au personnage. Sa veuve, Emilie, mère de Fanny et d’Alexandre, dont la funeste décision de quitter le monde du théâtre et de se remarier avec l’ignoble évêque provoquera le malheur de ses enfants, est jouée par la mezzo Sacha Cooke qui incarne parfaitement cette mère de famille sous emprise. Après maintes péripéties, les enfants trouvent refuge chez un ami de la famille. Dans cette maison, ils se retrouvent confrontés à Ismaël, personnage androgyne et inquiétant, campé par le contre-ténor américain Aryeh Nussbaum Cohen, dans un final athlétique et virtuose qui constituera l’apothéose et la conclusion de cet opéra.

 

Relativement inclassable, Fanny and Alexander repousse les limites de l’opéra et déconcerte par son intensité et sa noirceur. Néanmoins, c’est un public totalement conquis qui s’est levé comme un seul homme pour saluer le travail remarquable de l’équipe de production !

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CRITIQUE, opéra. BRUXELLES, Théâtre Royal de la Monnaie, le 8 décembre 2024. M. KARLSSON : Fanny and Alexander. S. Bullock, P. Tantsits, T. Hampson, A. S. von Otter, J. Weiner… Ivo Van Hove / Ariane Matiakh. Toutes les photos © M&CBaus.

 

VIDEO : Trailer de « Fanny and Alexander » de M. Karlsson au Théâtre Royal de La Monnaie

 

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