lundi 1 juillet 2024

CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre national du Capitole (du 17 au 26 mai 2024). DEBUSSY : Pelléas et Mélisande. M. Mauillon, V. Bunel, T. Cristoyannis… Eric Ruf / Leo Hussein.

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Reprise au Théâtre national du Capitole de Toulouse, cette production de Pelléas de Mélisande de Claude Debussy a mobilisé le Théâtre des Champs-Élysées, l’Opéra de Dijon, celui de Rouen et le Stadttheater Klagenfurt. Plusieurs représentations – et distributions – ont déjà eu lieu. Aucune lassitude pourtant, tant cette reprise toulousaine s’avère palpitante.

 

 

Tout est sombre dans ce Pelléas. L’éclairage noie la scène d’un noir bleuté, plus
poétique qu’étouffant. Nous sommes au fond d’un trou, d’un gouffre, d’un puits, d’un
château d’eau peut-être, et l’on y discerne une mare, un cloaque, une avancée de la
mer, où se détachent quelques rochers. De ce bas-fond humide, un grand filet de
pêche s’élèvera lentement, pour s’immobiliser à mi-hauteur, comme un piège tendu
au deux jeunes amants. Nous pourrions chercher ici de la symbolique, marée haute
ou marée basse, antichambre du désir, ou encore univers carcéral, oppression de la
conjugalité et destin contraire. Les personnages contemplent cette béance, parfois
s’y aventurent, s’avançant le long de passerelles qui se rejoignent en un mouvement
circulaire vers le fond de la scène. Ici s’ouvre ici une porte, là, une fenêtre, peut-être
une alcôve. De celle-ci surgira une Mélisande étonnamment viennoise, tel un portait
dû à Gustave Klimt, tout en or et en rousseur. Sa chevelure, de feu, lentement,
descend vers Pelléas et, avec elle, un érotisme incandescent.

Une belle mise en scène ne peut se satisfaire de la qualité de ses décors et des
images qu’elle donne à voir ; il faut aussi qu’elle donne chair à un spectacle et le
transcende. C’est le cas ici où toute l’intrigue se joue dans un huis clos étouffant,
d’autant plus douloureux qu’il s’inscrit dans une délicatesse nocturne. Les actes et
les scènes s’enchaînent avec évidence et chaque personnage est ici, incarné, dans
son étonnante complexité, sans manichéisme, ni naïveté. La lecture est aussi
pertinente dans son choix d’images symboliques : ainsi des vieillards et des
servantes, incarnés par en un trio de femmes sombrement vêtues, qui déambulent
sur le plateau, comme des Parques – on n’ose écrire des Nornes. De même, à la
blancheur virginale de la robe de Mélisande succède rapidement une robe terriblement grise, reflet mat et terrible d’un mariage malheureux et non voulu, comme le deuil de sa vie.

La distribution répond parfaitement à ce défi. Il faut d’abord souligner et de manière
unanime la parfaite diction des chanteurs qui rend justice au livret de Maurice Maeterlinck dans son étrange symbolique d’autrefois, naïve ou décalée. Ainsi des seconds rôles, à l’instar de l’Yniold est parfaitement tenu par Anne-Sophie Petit, à la voix délicate et tendue, qui rend admirablement l’insouciance du jeune garçon, et sa crainte maladive. Janina Baechle est une Geneviève de grande qualité, à la voix moirée, d’une douceur inquiète et ineffable. Franz Joseph Selig incarne un Arkel désabusé, apparaissant tendre, presque trop, avec sa bru.

Enfin, le trio central s’épanouit avec bonheur dans le langage debussyste. En
Golaud, Tassis Christoyannis commence par traduire les doutes qui l’animent et, d’une
certaine manière, la fragilité d’un homme qui sent que tout lui échappe. La ligne de
chant sait aussi se faire rugueuse, avec des accents sombres, manifeste d’une
incontestable autorité. Marc Mauillon est un Pelléas de grande classe, timbre clair,
affirmé, projection idéale avec ce qu’il faut d’enthousiasme et parfois d’hésitation
pour refréner les ardeurs d’un jeune cœur. Enfin, Victoire Bunel est une Mélisande,
évanescente, touchante et parfois fantomatique. Le timbre est soyeux, les aigus
délicats et le propos, toujours nuancé, décline toutes les facettes de Mélisande:
craintive, résignée, timide, amoureuse, et audacieuse, accablée…

Dans la fosse, sous la baguette de Leo Hussain, l’Orchestre national du Capitole,
restitue toutes les subtilités de la partition, en donnant à entendre des bois lumineux
et, il faut le souligner, des cuivres tout en retenue. L’attention portée au plateau est
bienvenue, favorisant l’appréhension du texte, en offrant au plateau l’écrin idéal.

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CRITIQUE, opéra. TOULOUSE, Théâtre national du Capitole (du 17 au 26 mai 2024). DEBUSSY : Pelléas et Mélisande. M. Mauillon, V. Bunel, T. Cristoyannis… Eric Ruf / Leo Hussein. Photos (c) Marco Magliocca.

 

VIDEO : Eric Ruf raconte « son » Pelléas et Mélisande

 

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