samedi 29 juin 2024

CRITIQUE, récital. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 juin 2024. Gala “Belle époque” avec Marie-Nicole Lemieux. Orchestre de Chambre de Paris / Fabien Gabel (direction).

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La onzième édition du Festival Palazzetto Bru Zane s’est conclue, ce mercredi 26 juin, par un Gala varié et élégant sous le signe de la “Belle époque”. Le programme – intelligemment choisi dans la musique la plus savante des années 1880 à 1914 – faisait la part belle aux raretés de premier choix. Cette musique particulière est ici admirablement servie par l’Orchestre de Chambre de Paris, dont le son chaud et chambriste est porté, et même modelé, par la baguette élégante et sans manières du chef français Fabien Gabel.

 

 

L’invitée très attendue de la soirée, la contralto québécoise Marie-Nicole Lemieux, ouvre la soirée par un hommage puissant et très personnel à Jodie Devos – sa “sœur d’âme” -, même si elle précise n’avoir jamais eu l’honneur de chanter avec elle. Demandant au public de ne pas applaudir, pour rester dans le recueillement, elle interprète avec émotion, accompagnée par le seul piano, le quatrième mouvement de la deuxième symphonie de Gustav Mahler, le fameux Urlicht, petite rose rouge. L’Orchestre de Chambre de Paris a, à son tour, rendu son hommage à la disparue en interprétant, avec la grâce et l’humilité qui caractérisaient Jodie Devos, la Pavane de Gabriel Fauré.

Puis, le programme se poursuit par une interprétation heureuse et post-romantique du très célèbre Clair de Lune de Claude Debussy, dans l’orchestration opérée par son disciple André Caplet (1911). L’orchestre, et ici particulièrement les vents, sonne plein et franc, restituant avec justesse la poésie de Verlaine. Vient ensuite un des points forts de la soirée : les Expressions lyriques de Jules Massenet (1910). Parmi les dernières œuvres du compositeur, ce dernier s’y montre très visionnaire en inventant une sorte de « Sprechgesang » à la française, peu de temps avant le Pierrot lunaire de Schönberg. Marie-Nicole Lemieux s’empare avec brio et plaisir de ces passages complètement ou partiellement déclamés, révélant toute la théâtralité puissante du texte avec la générosité qu’on lui connaît. Elle se délecte d’un orchestre raffiné et y expose ses graves exceptionnels de contralto. C’est l’étoffe d’immenses artistes comme elle de pouvoir laisser leur émotion dépasser leur perfectionnisme. La salle est abasourdie par la puissance de cette émotion dégagée.

Une telle émotion est cependant apaisée par l’Orientale de Fernand de La Tombelle (1886), peut-être l’œuvre la moins intéressante du programme, au contrepoint scolaire, portée toutefois à ce qui a pu en être fait de mieux par l’élégance de la direction et le son rond et coloré de l’orchestre. La première partie se clôt par la découverte, non seulement de la Danse sacrée et de la Danse profane de Debussy (1904), mais de Mélanie Laurent, jeune harpiste au talent sûr et à l’allure de muse grecque. Elle nous enchante en offrant ce que la harpe a de plus doux dans une partition très modale et particulièrement antiquisante. La harpiste solo de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, avec un jeu nuancé tout en naturel et apparente simplicité, “mène” véritablement l’orchestre à cordes qui l’accompagne.

La seconde partie du concert commence, en écho à la pièce précédente, par la Danse sacrée de la compositrice Mel Bonis (1898), extraite de la Suite en forme de valses. Un petit bijou d’intelligence, là aussi porté avec élégance et variété par Fabien Gabel. Presque trop court ! La Fantasietta de Théodore Dubois (1913) a permis au chef d’explorer toutes les couleurs de la phalange parisienne avec joie et fantaisie. Cette œuvre délicieusement sucrée et légère contraste avec l’image de son compositeur dont le traité fait la terreur des classes d’harmonie des Conservatoires français depuis plus de cent ans ! Son instrumentation (flûte, violon, trompette, cor, violoncelle, harpe, timbales et orchestre à cordes) met en avant les chefs de pupitre de l’orchestre, tous remarquables sans jamais être envahissants. Le Dernier sommeil de la vierge (1880), extrait de la dernière “légende sacrée” de Jules Massenet, met en scène tout le goût pour le mystique de la fin du XIXe siècle par un équivalent au Cygne de Camille Saint-Saëns. Le violoncelle soliste de l’orchestre chante avec lyrisme cette partition tout ce qu’il y a de post-romantique.

Nous retrouvons Marie-Nicole Lemieux pour clôturer ce superbe gala avec l’œuvre la plus ancienne du programme : les Mélodies persanes de Camille Saint-Saëns. Avec quelle délectation chante-t-elle chaque note de cette intelligente partition – et dit-elle chaque mot, évoquant avec délectation l’Orient rêvé par le XIXème siècle : turban, talisman, sultan, Zaboulistan ! Fabien Gabel et l’Orchestre de Chambre de Paris embaument le texte et le public des parfums les plus chauds et sensuels qui soient ! À la manière des plus beaux recueils de nouvelles d’Anatole France, et grâce aux artistes les mieux choisis, ce programme enchanteur nous transporte de la Grèce antique aux confins de la Turquie, mises sous le regard français du tournant du siècle dernier…

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CRITIQUE, récital. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 juin 2024. Gala “Belle époque” avec Marie-Nicole Lemieux. Orchestre de Chambre de Paris / Fabien Gabel (direction). Photo (c) DR.

 

AUDIO : Marie-Nicole Lemieux chante “La Brise” extraite des “Mélodies persanes” de Camille Saint-Saëns

 

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