mercredi 23 avril 2025

Cuenca. 48è Semana de musica religiosa, Auditorio, le 4 avril 2009. J.-S. Bach: la Passion selon Saint-Matthieu. Orchestra of the age of enlightenment. Mark Padmore, évangéliste et direction

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Salzbourg ibérique

Cuenca en avril est un lieu enchanteur: y vivre au sens fort la Semaine Sainte, même pour les non-pratiquants, reste une expérience singulière, du Samedi de la Passion au dimanche Pascal, du gouffre des plaies douloureuses (tortures et trahison de Pierre et de Judas…) à la pleine lumière de la Résurrection, le cheminement est un rite spirituel que chacun pratique selon sa propre conception de la transcendance. Cette année les 22 concerts programmés construisent un édifice intime qui peut s’avérer mémorable.
Le village perché sur son massif rocheux, la beauté du site (nous sommes en pleine campagne dans la province de Castilla-La Mancha, le pays de Don Quichotte), à une époque où les arbres sont en fleurs (et adoucissent d’autant la sévérité brûlante des paysages qui en été sont brûlés par le soleil), la qualité de l’architecture, superbement préservée depuis le moyen-age font de Cuenca, un « Salzbourg ibérique », où le festivalier déambule à pieds autour et à travers les monuments, empruntant passerelles, places, portiques. Cuenca est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1996 et ambitionne même, au regard de la richesse de son offre patrimoniale et culturelle (dont un musée d’art abstrait), le label de capitale européenne de la culture en 2016.
Le temps Pascal est aussi celui des processions pieuses que portent la ferveur de la population locale, au rythme des fanfares et des palmes frétillantes qu’agitent par exemple pour le Samedi Saint, la foule en liesse, quand les statues du Christ sur son âne et de la Vierge, entrent en solennité dans la Cathédrale.

A la fièvre religieuse vécue par les habitants correspond depuis 1961, l’un des plus anciens festivals de musique religieuse en Espagne, que dirige pour sa 3è édition, Pilar Tomas.
Depuis sa première année, la directrice artistique y déploie sans compter, une programmation exigeante, variée, souvent originale (oeuvres et approches inédites), où l’implication des interprètes, soucieux de respecter la thématique générale, savent s’engager dans le projet. C’est que Pilar Tomas, claveciniste et directrice du département de la musique à la Fundacion Caja Madrid, est une musicienne qui connaît la musique et le dévouement qu’on lui doit.
Pour preuve lors de notre présence au début de la 48è édition, ce premier concert à l’Auditorio (l’auditorium sis au pied de la falaise) où le ténor né à Londres, Mark Padmore (photo ci contre © S.Torralba) donnait sa lecture de la Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach (Leipzig, 1727), le Samedi de la Passion, 4 avril 2009.


La Passion selon Padmore

Continûment devant les instrumentistes, faisant ligne parmi les solistes, Mark Padmore qui fut clarinettiste avant de suivre les cours de chant du King’s College de Cambridge-, dont on sait l’éloquence articulée, de Haendel à Mozart, sait habiter le personnage de l’Evangéliste, en un chant halluciné, enflammé, souvent incandescent: le verbe, rien que le verbe. La projection du texte (de Christian Friedrich Henrici ou « Picander ») est nerveuse, incarnée, mordante, véritable prise à témoin des souffrances et de la Passion du Christ. Ce diseur électrisant et communicatif (ardent chantre de la narration biblique) sait entraîner sa troupe (dans les chorals et les métaphores poétiques des arias de solistes) dans un sillon constellé d’accents et de prises de risques. D’autant que le ténor britannique a choisi une conception résolument moderniste dans le geste interprétatif: 2 orchestres et deux choeurs dont les solistes (1 par partie) chantent les chorals, s’affairent sans ménagement, brossant de la Passion du Christ, un tableau traversé d’orages et de tourments.
Stupéfiante conception qui cisèle voyelles et consonnes, sublime de part en part, la gradation dramatique de la Passion de Bach, en s’appuyant sur le texte et sa dramatisation vocale.

Nous sommes très précisément dans la thématique du Festival 2009 dont le sujet met en avant « Literatura, Mistica, Musica »: Littérature, Mystique, Musique.
Les deux groupes continuistes dialoguent idéalement avec les solistes qui même dans les parties collectives savent équilibrer chaque partie vocale en une sonorité très homogène. Et dans les tutti, l’entrée en matière comme le choeur final avec tous les musiciens, les interprètes vivent le texte de la Passion dans l’énergie et l’intériorité, soulignant chacune des pierres angulaires de l’arche sacrée. La production qui passe en France par Poissy saura convaincre de nouveaux publics mais l’écouter dans le contexte de la Semaine de Musique Religieuse à Cuenca, lui apporte un surcroît d’intensité et de justesse, d’autant plus significatif au regard de la thématique de cette année.
Dans les pas de Mark Padmore, la prestation du baryton Roderick Williams (Cristo. Ci dessus avec Mark Padmore © S.Torralba) s’impose : ardente expressivité mais noblesse de style, musicalité souveraine et projection du texte, là encore, superlatives.



Cuenca. 48è Semana de musica religieuse
, Auditorio, le 4 avril 2009. Jean-Sébastien Bach: la Passion selon Saint-Matthieu. Laura Mitchell, soprano. Christianne Stotijn, mezzo soprano. Iris Julien, mezzo soprano. Robert Murray, ténor. Roderick Williams, Cristo. Orchestra of the Age of Enlightenment. Mark Padmore, évangéliste et direction.

Illustrations: Cuenca (Castilla-La Mancha), Mark Padmore (DR) © S.Torralba 2009

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