mardi 22 avril 2025

Cuenca (Espagne, Castilla La Mancha). 49è Semana de musica religiosa. Teatro Auditorio, le 31 mars 2010. Szymanowski, Janacek, Bartok, Schumann. Piotr Anderszewski, piano. Henning Kraggerud, violon. Iwona Sobotka, soprano

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De Szymanowski
à Janacek…

C’est un programme surprenant en apparence, qui enchaîne Szymanowski à Janacek, puis Schumann, Bartok et Szymanowski.
Conçu autour de la figure du pianiste polonais Piotr Anderszerwski, l’un des claviéristes majeurs de l’écurie Virgin classics (avec David Fray, Nicholas Angelich…), le récital de Cuenca saisit par l’unité de son propos, les dialogues sonores qu’il établit de l’un à l’autre compositeur, avec évidemment, affinités natives obliges, entre le pianiste vedette et le compositeur, un éclairage particulier sur l’écriture et l’hypersensiblité de Karol Szymanowski (1882-1937).
De Metopy, opus 29, Anderszewski qui fut ce voyageur intranquille pour le film portrait que lui a consacré Bruno Monsaingeon (1 dvd Medici Arts), exprime les atmosphères de sérénité inquiète (parfait oxymore qui rend tellement compte de la versatilité suractive du compositeur), de tendresse nostalgique, d’interrogation suspendue et constante. En maître de la couleur, et traçant son sillon si personnel dans la mouvance d’un Debussy, Szymanowski captive par la densité harmonique de son écriture, faite de micro scintillements permanents, de renouvellement constant des climats, auxquels l’interprète offre dans la délicatesse et la nuance, un parfait écoulement organique. Il y mêle aussi l’accomplissement d’une pensée certes tendue mais également portée vers le rêve et la douceur de l’enfance.
Dans cet art du crépitement murmuré, où le toucher se fait velours, Anderszewski poursuit avec V Mlhàch, JW8/22 de Janacek: même finesse d’approche pour un matière musicale vivante et palpitante. D’un bout à l’autre, en un flux continu, d’un surgissement à sa réitération, chaque note porte intacte la couleur d’un souvenir. On reste médusé par la puissance et le raffinement de cette peinture de la suggestion, du dévoilement jamais tapageur de l’intime et du secret.
Même justesse de jeu pour Mity, opus 30 de Szymanowski qui clôt ainsi la première partie de ce programme frappant par la cohérence des perspectives suggérées d’une écriture à l’autre.

… divines correspondances

Le pianiste saisit la part de sublimation qu’inspire à Szymanowski les figures de la mythologie (Narcisse, Driade et Pan…). D’autant que pour se faire, Anderszewski dialogue avec le violon au chant ténu et humain de l’excellent Henning Kraggerud, jeune violoniste norvégien dont il faudra désormais suivre le parcours. Là encore tension ciselée, -à l’éloquence irrésistible-, inquiétude, étrangeté, profondeur,… l’écriture et ses climats irisés expriment comme l’embrasement d’une âme insatisfaite qui traverse plusieurs états de transe, à l’image du personnage du Roi Roger dans l’opéra éponyme de Szymanowski: longue traversée semée d’éclairs et de révélations en une nuit d’insomnie et d’ivresse. Les acteurs de ce drame musical sont épatants: la douceur se fait morsure et poison, à l’ironie du violon répond la sensualité torride du piano.

Dans la seconde partie, après un Schumann (Märchenbilder opus 113 pour alto et piano), entre fougue et délicatesse qui s’achève dans un rêve, le pianiste dévoile 6 mélodies du cycle Piesni ksiaaznicki z basni opus 31 (composé en 1915 comme Metopy) pour soprano et piano, d’après les poèmes écrits par la soeur de Szymanowski. Ainsi l’auditeur retrouve-t-il les points de convergences entre littérature et musique si chers à Pilar Tomas, directrice artistique du festival. A la combinaison féconde poésie et musique, le programme ajoute en résonance avec la thématique sacrée propre à Cuenca, le chant illuminé, mystique de la soprano Iwona Sobotka qui fut la révélation du Concours Reine Elisabeth 2004 (Belgique). En transe, comme hallucinée par le propos à la fois onirique et passionnel du texte, auquel le piano tout en subtilité apporte des nuances captivantes, la cantatrice relève le défi des coloratures et des aigus fortissimo avec une fluidité dramatique époustouflante. Voix pleine, opulente, à la fois dramatique et lyrique, le chant embrase littéralement chaque poème.
La magie est totale; le programme, neuf, inédit, d’une audace crépusculaire saisissante. Quant aux trois artistes, l’écriture des partitions sélectionnées, les portent au sommet.

Cuenca (Espagne, Castilla La Mancha). 49è Semana de musica religiosa. Teatro Auditorio, le 31 mars 2010, Mercredi Saint. Szymanowski, Janacek, Bartok, Schumann. Piotr Anderszewski, piano. Henning Kraggerud, violon. Iwona Sobotka, soprano.

Illustrations: Piotr Anderszewski, Iwona Sobotka © Santiago Torralba SMR 2010

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