Le 7 novembre 2006, marque les 80 ans d’une voix angélique à nulle autre pareille. Quelle fut la carrière de la soprano Joan Sutherland ? Elle reste la plus grande Lucia di Lammermoor de la discographie, un rôle qui la consacra pour l’éternité le 17 février 1959, « diva assoluta ». Mais l’art de la Stupenda (la Superbe) doit à quelques rôles exhumés rien que pour elle, une consécration fulgurante : le rôle-titre d’Alcina de Haendel, lui vaut son surnom de Stupenda (Fenice, Venise). En effet, l’excellente technicienne sut aussi se perdre et nous enchanter, en dehors des sentiers du bel canto pré verdien, qui fut quoiqu’on en dise son pré carré, aidée en cela par son mari, musicologue et chef d’orchestre, Richard Bonynge. Joan Sutherland qui chanta aussi Wagner, osa des explorations aujourd’hui légendaires, dans l’opéra français : des Huguenots de Meyerbeer à Esclarmonde de Massenet.
Decca, la firme pour laquelle, Dame Sutherland enregistra l’ensemble de ses stupéfiantes prises de rôles, réédite avec raison quelques incontournables coffrets d’une carrière aussi longue qu’exceptionnelle. La sélection des bandes regroupe plusieurs réalisations lyriques majeures, pour ses 80 ans, et permettra aux spécialistes de retrouver à petits prix des compléments incontournables à leur compactothèque, comme elle permettra aux novices d’entrer par la grande porte, grâce à une immense artiste, dans l’univers tout en subtilité, du bel canto italien, de Rossini, Bellini, Donizetti à Verdi, et jusqu’au vérisme d’un Cilea. Saluons aussi Decca, de rééditer l’opéra trop méconnu, Esclarmonde de Massenet : un joyau dans une série de réalisations exemplaires.
Verdi, La Traviata (1962)
(Violetta). Orchestra e coro del Maggio Musicale Fiorentino, John Pritchard
Avec : Carlo Bergonzi, Robert Milnes…
Enregistré au Teatro della Pergola à Florence, en novembre 1962, la Violetta de Joan Sutherland captive par son humanité et l’éclat d’un chant qui respire la tendresse : à ses côtés, Carlo Bergonzi (Alfredo) et Robert Merril (Giorgio Germont) incarnent dans la même veine les deux figures viriles teintées de la même vérité. Richard Bonynge dirige avec nerf et vitalité l’Orchestre du Maggio Fiorentino : le Paris des années 1850 gagne en vraisemblance et en tension. Un remarquable enregistrement par sa cohérence artistique.
Bellini, Norma (1964)
Norma. Orchestre symphonique de Londres, Richard Bonynge
John Alexander, Marylin Horne, Richard Cross, Yvonne Minton…
En juillet 1964, la Stupenda incarne une héroïne dont elle exprime mieux que quiconque la lumière angélique et lunaire, grâce à un timbre accompli, ému, d’une blessure éclatante et digne, noble et inaltérable. Dans un répertoire qu’il a proposé à son épouse, Richard Bonynge, prépare l’orchestre et déploie le meilleur écrin qu’on puisse imaginer, soutenant la ligne vocale, éclairant les climats psychologiques, dans l’imploration, l’invective, la prière fervente de la prêtresse. L’Adalgisa de la jeune Marylin Horne stupéfie tout autant. Dommage que les chanteurs ne soient pas du même niveau.
Rossini, Semiramide (1965-1966).
Orchestre symphonique de Londres, Richard Bonynge
Avec : Marylin Horne, Joseph Rouleau, John Serge…
La veine tragique sied tout autant à la Stupenda, bien que dans cette version, Sémiramis ne meurt pas des mains de son propre fils (comme l’indique la partition originale). Certes les hommes sont réellement à la traîne, d’autant que le niveau des deux divines, Sutherland (Semiramide) et Horne (Arsace) est culminant. L’autre acteur de cette production enregistrée de décembre 1965 à janvier 1966, reste sans réserve, l’orchestre, emporté par un Bonynge, vrai complice et initiateur de cette presque exceptionnelle production.
Donizetti, L’elisir d’amore (1970)
(Adina). English chamber orchestra, Richard Bonynge
Avec : Luciano Pavarotti, Dominic Cossa, Spiro Malas…
Pour nous, « la » référence discographique : un Pavarotti épatant, d’une incandescence rare, campant un Nemorino tendre et entier, ivre et traversé par une subtile lumière ; de son côté, Sutherland affine sa conception d’Adina, avec, exquise coloration, cette blessure imperceptible du timbre. L’enregistrement vaut surtout pour les deux tempéraments d’une exceptionnelle intensité (leurs duos incarnent une perfection) mais l’orchestre de Bonynge n’est pas en reste, dans la légèreté et la finesse, il fouette les tempos enlevés et tendres, qui savent souligner combien Donizetti après Rossini, possède véritablement l’art de la comédie italienne.
Massenet, Esclarmonde (1975)
Huguette Tourangeau, Clifford Grant, Giacomo Aragall, Robert Lloyd… National Philharmonic Orchestra, direction : Richard Bonynge
Il est des réalisations demeurées d’autant plus indispensables qu’elles restent isolées, insurpassables. Déjà, la Stupenda était à son époque, la seule à pouvoir tenir le rôle, sa tessiture inhumaine dont elle restitue cependant, cohérence et crédibilité. Le sujet mi féérique mi héroïque, – il s’agit d’un opéra « romanesque »-, où la chevalerie cotoie le miraculeux, trouve en Sutherland, « son » interprète. Le reste du plateau, dont Grant (l’Empereur), Aragall (Roland) et Quilico (l’Evèque de Blois), confirme la valeur de cet opéra parfaitement oublié de Massenet. Un exhumation exceptionnelle. Qui depuis trente ans culmine elle aussi, au plus haut. De son côté, fidèle à son exigence déjà relevée, Richard Bonynge sait insuffler à l’orchestre, le sens de la grandeur et des évocations wagnériennes, le mystère de l’épopée berliozienne mais aussi les accents émerveillés d’une partition riche en superbes passages dramatiques (choeur très impliqué), en particulier dans les tableaux de l’île enchantée de l’acte II. Saluons le choix judicieux de Decca de rééditer cet enregistrement en tout point incontournable, réalisé à Londres, du 2 au 15 juillet 1975.
Donizetti, Anna Bolena (1987)
Orchestra & chorus of the Welsh national opera, Richard Bonynge
Avec : Samuel Ramey, Jerry Hadley, Susanne Mentzer…
En 1987, la soprano sexagénaire n’a certes plus l’éclat et la transparence ni l’agilité de ses aigus des années 60. En revanche, son Anna Bolena est proche de nous, tendre et humaine, blessée et délirante (dans le dernier tableau avant l’exécution). La dureté parfois déchirée du timbre donne d’autant plus d’intensité à l’essence tragique du personnage. Même le Percy de Hadley, bien que musicalement discutable ne manque pas d’implication.
Cilea, Adriana Lecouvreur (1988)
Orchestra & chorus of the Welsh national opera, Richard Bonynge
Avec : Carlo Bergonzi, Leo Nucci, Michel Sénéchal…
Decca fait aussi paraître :
Serate Musicali, mélodies (1978)
Rossini, Bellini, Donizetti, Massenet. Richard Bonynge, piano
Récital privé enregistré au domicile du couple Sutherland/Bonynge en Suisse
« The art of Joan Sutherland »
Coffret de 6 cds dont deux volumes (cds 4 et 5) consacrés à l’opéra français.
Soulignons en particulier le cd Mozart (cd 2) où le timbre blessé incarne idéalement les héroïnes tragiques et dignes : La comtesse (Porgi amor), Donna Anna, Pamina. Révélateurs : les cadences ornementées d’Il Re Pastore, et l’air de concert, Ch’io mi scordi di te : d’une élégance au souffle souverain et au piano, Richard Bonynge, maniant clavier et orchestre, en complices de la voix. La tenue du souffle et le timbre critallin émerveillent particulièrement dans ses Verdi (cd3) : Attila, Luisa Miller, prière de Desdemona (Otello). Mais le programme ajoute quelques airs wagnériens dont ceux d’Elisabeth dont la Stupenda exprime l’être damnée, la jeune femme romantique qui porte en elle le poison de la malédiction. Les autres cds, dont le premier permet d’écouter la magicienne Alcina qui l’imposa définitivement, ou encore le cd 6, où les connaisseurs retrouveront les airs de Norma et de Lucia qui l’ont rendu indépassable, sont de la même qualité. La pertinence des programmes choisis, très emblématiques des nombreux aspects d’un répertoire qui ne s’est pas limité au bel canto italien, font de ce coffret, un éblouissement. A posséder de toute urgence.
« Joan Sutherland, The Voice of the century »
édition limitée Deluxe
Livre disque de 100 pages
Duos avec Luciano Pavarotti, version inédite de Lucia, photos rares et discographie complète parue chez Decca avec la reproduction de chaque pochette.2 cds