mardi 22 avril 2025

Debora Waldman dirige Don Giovanni à Sceaux

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debora-waldman-presseSceaux, château (92). Debora Waldman dirige Don Giovanni, les 13, 14 juin 2014, 20h30. Pour sa 14ème édition, Opéra en plein air présente un nouvel opéra en plein air, à Sceaux devant la superbe façade néobaroque du château de Sceaux côté cour, le jeune chef d’orchestre brésilienne Debora Waldman, l’une des baguettes lesplus inspirées de sa génération aborde le sommet lyrique du XVIIIème siècle à l’époque des Lumières et qui par sa date, demeure le dernier opéra composé par Mozart avec l’écrivain libertaire et séditieux, Da Ponte : Don Giovanni. L’ouvrage illustre la figure du séducteur insaisissable Dom Juan de Séville qui séduit la belle Anna tout en étant pourchassée par son ancienne maîtresse, l’inconsolable et fidèle Elvira… mais une jeune servante Zerlina croise la route du conquérant ammoral qui s’empresse de lui faire une cour assidue. Personnification de la liberté tragique, et pourtant d’une certaine façon maître affirmé assumé de son destin, Don Giovanni sait braver la mort et affronter les flammes infernales en un final spectaculaire.

mozart_portrait-300Opéra libertaire dont la relecture à partir du XIX ème siècle, en fit “l’opéra des opéras”: un manifeste funèbre et tragique, Don Giovanni demeure cependant, selon le voeu de son auteur, un “dramma giocoso”. La vie traverse, palpitante et insolente, les personnages, les portant même à être la quintessence du souffle vital, l’incarnation du désir, de la pulsion sexuelle, l’énergie primaire… qui apporte les dérèglements sociaux ou l’excès d’ordre moral. Don Giovanni et son “double”, Leporello, ne formeraient ainsi qu’une seule personne au double visage, une sorte de Janus moderne quand Donna Anna et Ottavio, les amoureux héroïques qui ne cessent de se lamenter, incarneraient plutôt les tenants d’un système moral, tout autant condamné. D’un côté, l’exaltation de l’action; de l’autre, l’inhibition stérile, répétitive, étouffante.
Entre les deux duos, seule Donna Elvira, sincère dans son amour pour Don Giovanni, exprimerait la voie de la tendresse la plus pure… comme la plus aveugle. Les lectures du Don Giovanni de Mozart sont multiples. Chacune n’épuise jamais la richesse et la complexité fascinante du mythe.

 

modalités pratiques

don giovanni opera en plein airOuverture des grilles à 19h30. Accès : à partir de Paris > Sur la RN20 à l’entrée de Sceaux / Prendre «l’allée d’honneur»
– En voiture : 5km de la Porte d’Orléans
– En transport en commun : RER B station Parc de Sceaux
De 57 à 84 euros selon les disponibilités par catégories.
INFOS PRATIQUES BILLET VIP 
Cocktail dînatoire 20 pièces sucrées salées
– Champagne à discrétion
– Plaid et programme Officiel
– Place en Carré Or
À partir de 19h30 : Accueil VIP
De 19h30 à 20h45 : Cocktail dans les Salons de Réceptions
À 20h45 : Début du spectacle
Réservations places normales ou places VIP sur le site FNAC.COM

 


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Notre avis. La direction affûtée et vive de Debora Waldman (soirée du 14 juin à Sceaux, 92). Orchestre et voix amplifiés grâce à un (assez bon) système de sonorisation, disposition surprenante de l’orchestre placé sous le plateau supérieur avec pour conséquence la situation de l’estrade de la chef d’orchestre que l’on voit de dos, se retournant vers les chanteurs et donc vers le public… le spectacle proposé par Opéra en plein air n’est pas classique. Le plein air et le placement de la scène au pied de la façade du château imposent des conditions différentes de celle de la salle fermée d’opéra. Pour autant, le jeu des chanteurs, la succession des tableaux, l’enjeu des situations sont réalisés sans accroc grâce essentiellement à l’excellente direction musicale de la jeune chef d’orchestre Debora Waldman. Son expertise assure cette tension musicale nécessaire à la réussite du spectacle. La baguette accomplit un tour de force malgré des conditions difficiles (ce soir du 14 juin précisément où le vent plutôt froid n’a pas manqué de perturber la réalisation). La vision est claire, articulée, douée de nuances et d’un vrai souci de la continuité comme de l’architecture dramatique. Le si difficile finale du I avec la juxtaposition des danses en est l’élément le plus emblématique : à la fois détaillé et très expressif. Côté chanteurs, les femmes sont honnêtes sans plus ; le Leporello de Matthieu Lecroart percutant… a contrario du Don Giovanni de Jean-Gabriel de Saint-Martin, aussi sensuel et séducteur qu’un glaçon. Les spectateurs des autres représentations pourront apprécier quant à eux, les autres distributions face à une façade patrimoniale qui change selon les lieux d’accueil. La direction de Debora Waldman elle sera toujours là, prête à défendre et ciseler coûte que coûte et non sans panache, l’opéra des opéras. A voir indiscutablement.

Tournée estivale 2014 de Don Giovanni de Mozart par Debora Waldman
17 dates événements pour redécouvrir le chef d’œuvre signé Mozart et Da Ponte

13 et 14 Juin 2014 : Parc de Sceaux
20 et 21 Juin 2014 : Château de Champ de Bataille
26, 27 et 28 Juin 2014 : Château de Vincennes
4 Juillet 2014 : Cité de Carcassonne
29 et 30 Août 2014 : Château de Haroué
9, 10, 11, 12 et 13 Septembre 2014 : Les Invalides (Paris)
19 et 20 Septembre 2014 : Château de Fontainebleau

 

Don Giovanni dévoilé par Debora Waldman

 

Approfondir : grand entretien avec la chef d’orchestre Debora Waldman

debora waldman portraitJeune baguette prometteuse d’une rare voire exceptionnelle capacité à s’engager pour la vérité des partitions, la jeune chef d’orchestre Debora Waldman dirige l’opéra des opéras, Don Giovanni de Mozart. Pas impressionnée, la musicienne prend à bras le corps l’exubérante et impressionnante œuvre mozartienne et nous en dévoile plusieurs aspects clés avec une rare et très personnelle pertinence. Entretien avec Debora Waldman.

 

 

Quelle est votre vision de Don Giovanni (le personnage)? Et quel message le compositeur nous transmet-il à travers son ouvrage ?

Chez Tirso de Molina, il y a une structure théologique et catholique très forte. Celui qui se moque de la société, des femmes, se moque  avant tout de Dieu. Chez Molière, le personnage de Don Juan oppose la raison à la foi. On y retrouve la critique de ce qui insupportait déjà Molière dans Tartuffe (les fausses croyances…).

Pour moi, l’apport principal de Mozart et de sa musique est qu’il fait sortir le personnage de sa dimension mythique pour devenir un être humain. Chez Molière, on a davantage de scènes où les personnages parlent de Don Juan, celui-ci étant absent. Alors que chez Mozart, on suit devant nous les actions de Don Giovanni. C’est un être en chair et en os, moins dans la rhétorique que chez Molière.

Cela dit, il reste camouflé derrière le code social, noble d’apparence et prend l’air d’un « héros » avec son inébranlable fidélité à lui-même. C’est cette fidélité qui fait sa grandeur.

Vu les questionnements de Mozart concernant « la mort » lors de la composition de l’ouvrage (son père meurt en mai 1787), je ne peux m’empêcher d’aborder l’opéra d’un point de vu philosophique.

Il ne s’agit pas simplement d’un « personnage puni qui finit mal » et d’une morale lumineuse, mais plutôt d’un personnage qui existe par le regard que l’entourage porte sur lui, et par conséquent, lors de sa disparition, la situation reste irrésolue. Les autres  personnages ne pourraient  exister sans sa présence.

La « Scène dernière », trace musicale du passé (tel un chœur grec antique) et élément plus architectural que moral, reste ouverte et ambiguë. Comme si par-dessus de tout, la puissance divine de la musique qui traverse l’œuvre serait le message de l’opéra.

« Don Juan oscille continuellement entre l’état d’idée, c’est à dire la puissance, la vie, et l’état d’individu. Et cette oscillation est la vibration musicale » précise Søren Kierkegaard.

 

 

 

De quelle façon Mozart exprime-t-il la force du personnage dans l’écriture orchestrale ?

D’une manière générale, il est intéressant de remarquer comment Mozart trace par des gestes musicaux le portrait de Don Giovanni. Son caractère extérieur et ardent est exprimé dans  « Fin ch’han dal vino » par une orchestration agitée et euphorique. Son caractère intérieur et séducteur par l’intimité de la canzonetta (solo de mandoline, accompagné par les pizzicatos de cordes).

Deux moments clefs sont à souligner pour illustrer la force du personnage :

-Final Acte I (allegro) « Trema, o Scelerato » (Tremble scélérat), dans un véritable tourbillon orchestral, Don Giovanni est accusé pour ses actes de violences. Il y répond avec une audace extrême « Ma non manca in me coraggio » (mais le courage ne me manque pas) sur un rythme qui se moque de la puissance accusatrice. La scène aboutit à une apothéose de conflits dans une écriture canonique des syncopes.

-Final Acte II : la grande scène avec le Commandeur sur un rythme obstiné de marche (funèbre…) les cordes dessinent mélodiquement des flammes, alors que les cuivres et timbales ponctuent de façon religieuse le trajet musical. A cette intensité, Don Giovanni résiste « A torto di viltate, tacciato mai saro ! » (De lâcheté jamais je ne serai taxé).

Construit sur trois paliers, tout au long de ce passage, l’écriture orchestrale évolue des flammes mentionnées (encore de ce monde) vers des contrastes radicaux de nuances (trémolos des cordes) dans l’affrontement avec le Commandeur. Peu à peu, l’accélération de l’écriture se transforme en un feu infernal (gamme descendante agitée) auquel Don Giovanni finit par succomber.

 

 

 



En tant que chef, y a-t-il des passages dans l’opéra, particulièrement intenses, vrais défis pour la direction ?

don giovanni alex evariste fragoAbsolument, je vais illustrer un autre passage (en plus de celui du Commandeur déjà mentionné) qui  est celui du Bal de la fin du premier acte et la superposition des trois danses. Cette scène est un exemple de la virtuosité de Mozart. C’est la musique qui construit la réalité dramatique : trois danses aux métriques différentes vont se superposer pour symboliser l’incompatibilité des classes sociales : Le menuet (3/4  Don Ottavio et Donna Anna), l’Allemande (2/4 Leporello et Masetto) et la Contredanse (3/8 Don Giovanni et Zerlina), joués simultanément désagrègent la supposée harmonie des personnages, et de cette anarchie découle l’acte de violence de Don Giovanni envers Zerlina. C’est la coexistence de trois pensées, dans le même espace temporale, d’un modernisme inouï. Tenir compte de la forte structure du discours, répartir le juste poids des sections pour que l’arrivée à ces points intenses soit organique, est un vrai défi pour le chef d’orchestre.

 

Propos recueillis par Alexandre Pham en mai 2014.

 

 

 

Illustrations : Debora Waldman, Mozart (DR)

 

 

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