Voix de décembre : moisson glorieuse !
En décembre 2006, l’actualité du disque fait paraître simultanément un ensemble de récitals vocaux, exceptionnellement réussis. Laurence Equilbey et Accentus récidivent dans « transcriptions 2 » la magie de leur premier disque, paru chez Naïve. Primo uomo au sommet de son expérience lyrique, Simon Keenlyside surprend dans un programme conçu comme un journal personnel (Sony classical). Ambassadrices de la vague baroque toujours vivace, deux mezzos enflamment les airs haendéliens : Vivica Genaux (Virgin classics) et Angelika Kirchschlager (Sony classical). Du grand nord Norvégien, c’est le timbre éclatant et charnel de la soprano Solveig Kingelborn qui séduit dans une série d’albums de mélodies et de lieders impeccables. Jamais la scène lyrique n’a paru autant gâtée. Et le disque en recueille les fruits les plus convaincants. Qui disait que notre époque était marquée par un vide de talents?
Vivica Genaux, « Arias »
Née en Alaska mais vivant en Italie, –la nation de son compagnon-, la mezzo Vivica Genaux accorde grâce et volupté. Son chant ample et acrobatique s’est mesuré aux airs de virtuosité dans un récital d’airs de Farinelli (Harmonia mundi). Sous la direction de Fabio Biondi, elle a démontré avec flamme, un tempérament vocal éruptif dans Bajazet de Vivaldi (Virgin classics). Dans ce troisième album solo, la cantatrice revient à Haendel, en lui associant un vénitien contemporain, d’origine saxone comme lui, du plein XVIII ème siècle, Hasse. Ce dernier lui fut révélé par Jacobs à Berlin en 1999, quand elle faisait partie de la production de l’opéra Solimano. Dramatisme de l’Orlando et d’Alcina de Haendel, auxquels est associée la cantate « Splenda l’alba in oriente » Hvw 1666 ; feu belcantiste d’Arminio et de La scusa de Hasse. En Vivica Genaux, les deux plus grands compositeurs lyriques autour de 1700, ont trouvé une interprète éclatante (1 cd Virgin classics).
Lire aussi notre critique du dvd Opera night », gala de l’Opéra de Cologne (2005, Arthaus musik) dans lequel la mezzo canadienne impose une vocalità rayonnante dans Rossini et un air de Zarzuela. Un film incontournable pour les fans.
Angelika Kirchschlager, « Handel Arias »Nous la connaissions mozartienne (lire notre critique du dvd « Les noces de Figaro » où elle incarne Chérubin » sous la direction de René Jacobs, Bel Air classiques), straussienne (lire notre critique du dvd du Chevalier à la rose où la mezzo est « Quinquin », TDK). En décembre 2006, Angelika Kirchschlager se prête au chant haendélien : la ligne souple de son timbre exprime la plainte longue et meurtrie d’Ariodante (Scherza infida), la fièvre tendre et pleine d’espérance du Cara Speme de Giulio Cesare, surtout, la sensibilité exacerbée des airs choisis extraits de la trop méconnue « Arianna in Creta ». On pensait que sa carrière avait tout donné, la diva montre une vigueur reconquise et l’opulence de son timbre préservé (1 cd Sony classical)
Simon Keenlyside, « Tales of opera »
Accompagné par Ulf Schirmer et l’orchestre de la Radio de Munich, le baryton Keenlyside montre qu’il relève le défi d’un programme multilinguiste, variant les écoles et les styles. Il a tout d’un récitaliste accompli. Une aisance interprétative donne le niveau atteint, en maturité et en musicalité. Chacun pourra à loisir sélectionner l’air de son choix, au sein d’un récital éclectique, mariant la fierté blessée de Paillasse, la noble humanité fauve de Germont, à la facétieuse fanfaronade de Figaro (Rossini), surtout l’élocution (en français) d’Hérode et la suave tendresse ivre de Wolfram. Nous l’avions découvert dans Orfeo de Monteverdi à Aix sous la direction de René Jacobs. Quel chemin parcouru depuis, mais dans la même ligne : déterminée, juste, incarnée (1 cd Sony classical)
Accentus/Laurence Equilbey : Transcriptions 2
L’idée de transcriptions se révèle triplement juste : l’approche chorale est d’une rare splendeur d’intonation et de liberté, tout en restant fidèle au « climat originel » dans la texture originelle ; à la façon d’un peintre maniant sa palette, jouant des couleurs et des tonalités, – celles de 32 chanteurs-, la chef du choeur Accentus et les choristes professionnels osent ce que nous n’avions pas imaginer entendre, à peine rêver furtivement ; enfin, le « rôle » des transcripteurs, Gérard Pesson pour Ravel et Scriabine ; Franck Krawczyk et Clytus Gottwald pour Schubert, Vivaldi ou Debussy, se dévoile en pleine lumière : Gottwald explique son travail sur les quatre lieders de Schubert ,commande de Laurence Equilbey pour Accentus. Manifeste d’une nouvelle esthétique de l’écriture chorale, et des perspectives expressives nouvellement permises, chacun des textes donne le reflet de ce disque : un voyage dans l’imaginaire, où le geste vocal est soutenu par la maîtrise éclatante du souffle, dans sa résonance, ses harmonies inédites. C’est tout d’un coup « Im Treibhaus » des Wesendonck-lieder de Wagner, l’hiver des Quatre saisons de Vivaldi ou le chant des hommes ressuscités de l’Alexandre Nevski de Prokofiev qui, révisités, transfigurés par quelques vagues chorales régénérantes, partagent un sentiment inconnu d’extase énigmatique. Eblouissant (1 cd Naïve).
Solveig Kringelborn
La soprano née en Norvège, Solveig Kringelborn a révélé en quelques années grâce à plusieurs albums parus sous étiquette NMA (label norvégien distribué en France par Distrart) l’amplitude de son timbre de soprano opulent, charnel, éclatant. Harmoniques riches, agilité souple dans tous les registres, la chanteuse surprend autant dans les rôles dramatiques (Elsa de Lohengrin, Arianne d’Ariadne auf Naxos, la Maréchale du Chavalier à la Rose et… La Comtesse de Capriccio à l’Opéra de Paris, à l’automne 2007) que dans l’univers feutré, intimiste et secret des mélodies de Grieg et de Jensen, ou dans les lieder. Son timbre exprime une plainte douce, lointaine, dont la musicalité se révèle fascinante. Celle qui porte un prénom pour chanter Grieg, -ce qu’elle fait avec combien de subtilité-, ne cesse de dévoiler son chant indiscutable, celui d’une nouvelle diva venue du Grand Nord. A écouter : « Solveigs sang » (2001, 1cd), « To a friend » : mélodies inédites de Ludvig Irgens-Jensen (2003, 1 cd) et plus récemment, « Erwartung » (1cd). Lire notre dossier « Solveig Kringelborn, portrait« .
Michaela Kaune.Richard Strauss: lieder avec orchestre. Voici un récital remarquablement conçu, cohérent par le choix des mélodies choisies, toutes avec accompagnement d’orchestre. Les Straussiens, amoureux des lieder, retrouveront, incontournables pour ce type de récital, « Wiegenlied » (suspendu, aérien), « Meinem Kinde » (attendri, maternel), « Cäcilie » (hymne ivre d’un lyrisme radical), mais aussi, -surtout- quelques perles trop rares au concert comme au disque jusque-là, tel « Gesang der Apollopriesterin » opus 33 (à l’onirisme wagnérien à peine voilé) : le timbre lumineux et tendre, l’articulation fragile, façonnée pour le lied comme l’exclamation symphonique de la soprano hambourgeoise, Michaela Kaune éclaire chaque tableau d’une touche humaine et sensible. Quant aux Quatre derniers lieder, la ligne est souveraine, l’élégance subtile et murmurée. La fusion avec l’orchestre (NDR Philharmonique, basé à Hanovre) d’un fini détaillé et mordoré, jubilatoire (grâce à la baguette à l’équilibre exquis du japonais Eiji Oue) hisse le chant crépusculaire d’après les poèmes de Hermann Hesse et Eichendorf à un niveau confondant par son esthétisme (1cd Berlin classics).
« Voix de décembre« . Dossier réalisé par Carter-Chris Humphrey, Alban Deags, Stéphanie Bataille, David Tonnelier, Tristan Montségur, sous la direction d’Anthony Goret et d’Alexandre Pham.