Edita Gruberova
Soprano
Arte
Le 11 janvier 2010 à 22h30
Lundi 3 août 2009 à 22h35
Portrait. Réalisation: Stefan Pannen et Claus Wischmann,
(2007-2008, 53mn)
Quinqua coloratoure
Mais ce qui la distingue certainement totalement des autres divas, ce qui fait qu’au bout d’une seconde d’écoute, on reconnaît immédiatement son timbre (dixit Brigit Fassbaender) c’est ce legato aérien, cette facilité dans les aigus qui font de « La » Gruberova, une acrobate vocaliste unique: ses vocalises sont naturelles et humaines, jamais elle ne minaude, grâce peut-être à sa rigueur slave, ce sens de la discipline qui est liée à son adolescence dans une Slovaquie écrasée par le régime soviétique après l’écrasement du Printemps de Prague, en 1968, alors qu’elle n’avait que 21 ans.
Le portrait, de facture classique profite de ses 30 ans de fidélité au Liceu de Barcelone: la reprise de Lucrezia Borgia en version de concert offre la conclusion du documentaire. Le phénomène Gruberova s’inscrit en particulier dans l’amour passionnel que lui vouent ses admirateurs: comme le précise l’une de ses admiratrices: « écouter Edita Gruberova c’est comme une drogue: une fois que vous y avez goûter, vous ne pouvez plus vous en passer »…
Sans fard, avec une simplicité que certaines divettes de l’heure auraient bénéfice à méditer, la Gruberova se dévoile devant la caméra, avec cette élégance carrée, qui toujours malgré sa dimension légendaire, a gardé la simplicité de la campagne: née à Raça (près de Brattislava), en Tchékoslovaquie, l’artiste revient sur les lieux de son enfance, quand elle chantait perchée sur un poirier comme podium, ou à la tribune de son église natale. Portée par sa voix lumineuse, elle ne tarde pas à intégrer le conservatoire de Brattislava, et après 1968, sous l’étau soviétique, se borne malgré elle à chanter les grands rôles sur la scène de l’opéra de Banska Bistritsa dont La Traviata en 1970 (document d’archives).
Mais le destin ne tarde pas à se manifester et après une audition à l’Opéra de Vienne où elle chante la Reine de la nuit, la jeune soprano rejoint la troupe viennoise. Elle décide alors de quitter son pays et le régime soviétique: elle sera d’ailleurs condamnée par contumace à 2 ans de prison!
A Vienne, néanmoins, Edita Gruberova plafonne dans de petits rôles: l’envol à l’ouest se réalise en 1976 quand elle chante Zerbinette: la version dirigée par Böhm en 1978 est éditée au dvd par Deutsche Grammophon.
Outre les nombreuses illustrations d’archives (où l’on voit aussi chez le même éditeur sa Gilda aux côtés de Pavarotti, fugace partenaire de la diva, dans Rigoletto de Verdi), le portrait met l’accent sur ses incarnations les plus récentes, en particulier chez Bellini et surtout Donizetti…
Gruberova maîtrise la ligne bellinienne, et la couleur des héroïnes donizettiennes: aiguës fabuleux, stratosphériques, ou notes basses d’outre-tombe, sa formidable vocalità qui en fait s’appuie sur un tempérament dramatique voire tragique souvent négligé, s’épanouit à présent dans les rôles phares: Lucrezia Borgia ou Roberto Devereux, production récente pour laquelle la diva paraissait sous les traits de Margaret Thatcher, avant de faire tomber le masque (ou plutôt la perruque) dans une scène finale « à couper le souffle ». Ici les intentions vocales sont justes et sincères: les acrobaties aériennes qui atteignent des sommets vertigineux laissent les auditeurs dans un état d’ivresse admirative: elles ne sont ni décoratives ni acrobatiques mais humaines. La soprano diffuse et rayonne l’essence même de l’opéra: le chant incarné, miroir de l’âme, touche l’âme de ceux qui l’écoutent. Il fait dire à l’un de ses admirateurs, Nikolaus Harnoncourt, « qu’Edita descende des hauteurs atteintes; qu’elle retrouve le divin Mozart ». Il est vrai qu’avec le chef autrichien, Edita Gruberova a chanté le rôle de Dorabella dans Cosi fan tutte… Même à des altitudes aussi élevées, la quinqua continue de fasciner. On lui souhaite de tenir ainsi encore 10 ans, comme elle le voudrait,… pour fêter ses 50 années de carrière.