Edouard Lalo
Le Roi d’Ys, 1888
Liège, Opéra Royal de Wallonie
Du 28 mars au 5 avril 2008
Patrick Davin, direction
Jean-Louis Pichon, mise en scène
Le chef-d’oeuvre breton et maritime de Lalo, partition ô combien raffinée qu’il faut traiter avec tous les égards nécessaires, ni dans la lourdeur ni dans l’emphase pour en exprimer la force et la poésie wagnérienne, fait escale à Liège, après avoir scintillé sous le plafond du Capitole de Toulouse, en octobre 2007. Sur le plan vocal, l’ouvrage est particulièrement difficile à distribuer, car contrairement à son titre ce n’est guère le souverain de la ville promise à disparaître sous les flots qui s’impose drammatiquement mais bel et bien sa fille, Margared, amoureuse malheureuse du fier et noble Mylio, que son peuple marrie sans ménagements au sombre Karnac, l’ennemi juré de la nation. Femme bafouée, humiliée, trahie, fille sacrifiée et soeur trompée, Margared est un personnage dévoré par la haine, sorte d’Ortrud française, mais que le travail de la psyché mène jusqu’au remord troublant en un effet de théâtre spectaculaire…
Lalo brosse le portrait musical de la ville d’Ys, assiégée, qui n’a d’autre choix pour sauver son destin tragique que d’unir la princesse Margared, fille du Roi, au chef des troupes assiégeantes. Le sujet d’une ville isolée, est certainement à mettre en parallèle avec la carrière du compositeur, lui-même figure solitaire, voire marginale (si peu mondain) dans le paysage musical français de la fin du XIXème siècle.
Lillois arrivant à Paris vers 1840, Lalo dut se confronter à la résistance et aux vieilles crispations d’un milieu parisien plutôt conservateur. C’est surtout grâce à la Société nationale de musique, après la guerre de 1870, que l’engouement pour les auteurs nationaux suscita l’intérêt pour sa musique. Sa Symphonie Espagnole (composée pour le violoniste Pablo de Sarasate), créée quelques semaines avant Carmen de Bizet, lançait la vague du goût ibérique à laquelle ont souscris après lui, Ravel, Debussy, Chabrier… Presque quinqua, Lalo vivait enfin une juste reconnaissance. Fort de son succès, le compositeur offrit un tour d’Europe, participant à la poussée des nationalistes musicaux, et composant de ce fait, sa Fantaisie puis sa Rhapsodie Norvégiennes et un Concerto russe pour violon… Avec Le Roi d’Ys, composé juste après la Symphonie Espagnole, Lalo aborde les légendes bretonnes et le mythe de la ville engloutie, un chantier théâtral qui devait l’occuper pendant… 13 années, de 1875 à 1888.
Un drame resserré écrit comme une tragédie antique
Chambriste, alto puis second violon au sein du Quatuor Armingaud (créé en 1855), Lalo souhaite composer des opéras. Avant Ys, Fiesque (d’après Schiller), restera une source d’aigreur et d’amertume. Présenté à un concours de composition l’ouvrage est rejeté et Lalo doit payer sur ses propres revenus, la publication de l’ouvrage dans une réduction chant/piano.
Sans être promis au triomphe, le cas du Roi d’Ys est plus heureux. Un première esquisse est achevée en décembre 1875. L’ouverture est créée par l’orchestre Pasdeloup en novembre 1876. Reste à composer et orchestrer les actes. Mais tout d’abord encouragé par le directeur de l’Opéra, Emmanuel de Vaucorbeil, Lalo prend conscience que monter son nouvel opéra sera difficile. Entre temps, le directeur moins enthousiaste qu’auparavant, lui commande un ballet: Namouna restera un chef-d’oeuvre du genre: une démonstration de l’écriture dramatique d’un Lalo, habile faiseur de situations. Très vite taxée de wagnérisme, la partition fut enterrée, même si elle suscita l’enthousiasme de Debussy. Lalo reprit le fil d’Ys, en réécrit la trame et en 1886, transforma, condensa, jusqu’à l’épure âpre et vive, violente et même convulsive. L’orchestration en fut achevée en 1887. Crée sur la scène de l’Opéra-Comique, le 7 mai 1888, Le Roi d’Ys obtint un véritable succès. Resserrée jusqu’à l’épure néo antique, l’oeuvre fut acclamée par son sens de l’urgence et de l’efficacité. Sans développements, asumée comme telle, dans sa « précipitation et sa concision originelle », la partition regarde non du côté de Wagner, modèle inégalable donc écarté, mais plutôt vers Beethoven dont le compositeur français aimait la concision expressionniste des ouvertures: Coriolan et Leonore. Moins suave ou langoureux que Gounod ou Massenet, auteurs de duos amoureux irrésistibles, Lalo avouait préférer la forme courte, affûtée. Margared ou Carnak, plutôt Rozenn et Mylio. A 65 ans en 1888, Lalo connaissait une juste reconnaissance. Il devait mourir en laissant un nouvel ouvrage inachevé, La Jacquerie, interrompu par son décès, le 22 avril 1892.
Illustration: John Waterhouse, Circé offre une coupe à Ulysse (DR)