« « Ce livre est mon cadeau pour son centième anniversaire« : la troisième et dernière épouse du maestro légendaire, Eliette von Karajan,
d’origine française, se confie dans un texte écrit à la première
personne, confession riche en anecdotes, d’autant plus précieuses que
vécues dans l’intimité du monstre sacré, elles révèlent des pans
méconnus de sa personnalité complexe. « A ses côtés » est d’abord
un hommage amoureux à un artiste d’envergure, mondialement célébré, par
son épouse encore admirative. Mannequin chez Dior, Eliette née Mouret
épouse Karajan le 8 octobre 1958. Frau Operndirektor, la femme
du directeur de l’Opéra de Vienne, assiste à plus de mille répétitions,
comprenant de l’intérieur les secrets de fabrication de l’une des
baguettes les plus célèbres et les plus courtisées du monde.
Forcément
être aux côtés d’un artiste incontournable permet de côtoyer aussi les
plus grands chanteurs, politiques, écrivains, pianistes, musiciens de
l’heure. A ce titre le livre regorge de souvenirs d’autant plus
passionnants qu’ils sont précisément restitués. Démission de l’Opéra de
Vienne en 1964, avec moulte détails sur les faits de cette « rupture »
musicale, (son départ est consommé avec deux représentations de La Femme sans ombre!),
la fondation d’un nouveau festival à Salzbourg, (sa ville natale), le
festival de Pâques (à partir de 1967), … sont autant d’étapes d’une
carrière fulgurante que l’épouse de Karajan a vécu de près, dans
l’intimité et la complicité du chef. La vie aux côtés d’un musicien
aussi exceptionnel s’accompagne d’avantages non négligeables: yacht et
maison à Saint-Tropez, dîners mondains, cours de peinture, demeure
familiale à Anif, en périphérie de Salzbourg… où défile la crème des
politiques… les personnalités citées qui y sont reçues, donnent le
vertige. Chroniqueuse des petites histoires, celles qui fondent la
légende des grands hommes, Eliette von Karajan prend soin de brosser
un portrait humain du chef, mais rétablit aussi nombres de contre
vérités sur son compte. Pour souligner la valeur artistique de son
époux, l’auteur précise quelques étapes essentielles d’un talent fait
pour diriger, ce dès 1938, comme le remarque un critique de l’époque
qui parle de « miracle Karajan », après avoir assisté à une
représentation de Tristan und Isolde à l’Opéra de Berlin… la
carrière de Karajan est jalonnée de rencontres artistiques
passionnantes: celle avec Maria Callas fut électrique, d’une attraction
aimantée (Lucia de 1956, Staatsoper de Vienne), et le livre est jalonné de tant d’autres, sujets de captivants commentaires.
Le lecteur se familiarise au fil des pages avec la personnalité du
chef, faite de perfectionnisme, d’hyperactivité, d’exigence et aussi
d’une certaine générosité, surtout envers les musiciens de ses
orchestres (ne l’appelait-on pas, « la mère du régiment »!)
Eclairantes, les pages sur les rapports de Karajan avec les autres
chefs: Furtwängler admiré sans retour, Toscanini adulé et rencontré,
surtout Carlos Kleiber, marqué d’un doute croissant, fut peut-être le
seul à admirer Karajan avec la ferveur d’un enfant électrisé (Kleiber,
maestro à Munich, demanda l’autorisation à Karajan d’assister à ses
répétitions au Festival de Salzbourg afin d’y suivre minutieusement les
séances d’approfondissement des oeuvres)… travail avec les plus
grands chanteurs de l’heure, Agnès Baltsa, Grace Bumbry, Leontyne
Price, Placido Domingo, José Carreras, soutien pour les jeunes artistes
tels Anne Sophie Mutter, Evgueni Kissin, … Les souvenirs et
témoignages sur les grands interprètes sont toujours passionnants,
restituant sous la figure des artistes, l’humanité des individus. Outre
la liste des enregistrements qu’elle préfère, tous attachés à une
anecdote, Eliette von K. ajoute un texte non moins intéressant sur
« Karajan et l’image »… il n’y est pas fait mention d’Hugo Niebeling
qui réalisa pourtant le film le plus passionnant jamais réalisé sur un
chef dirigeant la Pastorale
(1969)… La mémoire a ses propres critères. Sélective, elle peut
cependant être captivante. « A ses côtés » est assurément, en cette année
commémorative, une lecture indispensable.
Eliette von Karajan: A ses côtés (éditions
L’Archipel, 260 pages). A l’occasion de la publication du livre
d’Eliette von Karajan, Deutsche Grammophon publie 1 cd du même titre,
regroupant les enregistrements favoris de l’épouse du chef autrichien
qu’elle commente et justifie dans son texte: au total 13
enregistrements prioritaires dont les Quatre derniers lieder de
Richard Strauss avec Gundula Janowitz, Un Requiem Allemand de Brahms
(1964), le Requiem de Verdi (1984, avec Agnès Baltsa, José Van Dam…),
les Symphonies n°2, 5, 6 et 9 de Gustav Mahler…