A l’acte I par exemple, tout s’enchaîne magnifiquement dans sa phase conclusive du N° 9 au N° 12 : servitude aveugle de Sesto, hystérie désemparée de Vitellia (trio « Vengo » N°10), remord de Sesto (recitativo accompagnato N°11) et chœur de l’incendie du Capitole, marche funèbre révélant la mort supposée de Titus (finale en quintette N°12). On n’a guère entendu de pages aussi sublimes que les trois dernières scènes de l’acte I. Mozart y mêle en génial dramaturge, la solitude des coupables (Sesto/Vitellia), le tableau de la Rome incendiée, et le chœur de déploration pleurant la mort de l’Empereur. Cette double lecture annonce déjà le XIXème siècle : intimité des héros souffrant, clameur du chœur qui restitue le souffle de l’épopée et du mythe antique.
A l’acte II, même parfaite gestion du renversement dans l’évolution du personnage de Vitellia par exemple et que nous avons précédemment évoqué. Jusque-là insensible, froide manipulatrice, intéressée et politique. Il faut qu’elle entende l’air « S’altro che lagrime » de Servillia qui tout en prenant la défense fervente de son frère Sextus, reproche à Vitellia sa « cruauté » ;
C’est la prière d’une sœur (Servilia est la sœur de Sesto), exhortant celle qui maltraite son frère à le défendre qui est la clé dramatique de l’Acte II. Après avoir entendu Servillia, Vitellia n’est plus la même : dans le grand air qui suit (sans ici l’artifice du secco), la transformation s’opère dans son cœur. Renversement et transformation. Voyant la mort, elle éprouve enfin compassion et culpabilité accompagné par l’instrument obligé, un sombre et grave cor de basset. Elle avouera tout à Titus : son désir de vengeance et le complot qui devait tuer l’Empereur.
Avant cette confrontation avec Servillia qui lui renvoie sa propre image, elle était une autre. L’on serait tenté de dire, étrangère à elle-même. Et cette transformation est d’autant plus profonde que l’air qui l’a suscité (S’altro che lagrime déjà cité) est court. Autre fulgurance.
Et plus encore : Mozart fait succéder à cette transformation miraculeuse, l’entrée de l’Empereur dont chacun attend la sentence quant au sort de Sesto. Marche d’une grandeur solennelle, là encore d’une sublime romanité, l’apparition de l’autorité impériale fait contraste avec le monologue de Vitellia où l’on pénétrait dans l’intimité, jusqu’au tréfonds, de son âme coupable et compatissante.
Devant tant de maestria dramaturgique, comment ne pas reconnaître le travail ultime de Mozart ; surtout louer le dosage et le contrôle des options retenues ? A ceux qui ne s’expliquent toujours pas pourquoi, après une ouverture pleine de noblesse, de dignité et de grandeur antique, Mozart nous « assène » pour la scène d’exposition un recitativo secco des plus conventionnels, quand ailleurs, pour Idoménée ou Don Giovanni, il sollicitait de l’ouverture à la première scène, tout l’orchestre, on répondra que respectueux des usages, il exploite la signification des formes musicales et retrouve fidèle au seria, la forme habituelle du cadre : un secco de pure et parfaite convention, probablement écrit sans plus d’inventivité, comme tous les autres récitatifs de l’ouvrage, par son élève Susmaÿr, comme nous l’avons déjà dit.
De même pour la forme da capo, emblématique du seria et qu’il utilise pour le personnage le plus digne de l’œuvre : l’empereur Titus naturellement (« Del piu sublime soglio », N°6). On pourrait y voir la reprise maladroite d’une forme obsolète. C’est tout l’inverse, le da capo est bien l’expression la plus correcte pour un souverain, étant la forme générique du goût musical le plus aristocratique, le langage habituel et célébré des dieux, demi-dieux et des héros. En utilisant la forme da capo, Mozart insiste davantage sur l’impuissance répétée et l’isolement inéluctable d’un être qui comme la forme expressive qui est la sienne, comme dépassé par la situation présente, aculé à une impuissante inertie. Une forme propre à son rang social et qui l’étouffe en l’empêchant d’exprimer les attentes véritables de l’homme.
On voit bien que chaque option n’est pas l’effet malheureux d’une maladresse mais le fruit médité d’une véritable vision dramaturgique.