A l’occasion de son concert à La Côte Saint-André, chez Mr Berlioz (21 août 2023 : concert « Mythique »), le claveciniste et chef Bruno Procopio souligne l’identité et les missions de l’orchestre qu’il a fondé en oct 2021, le JOR : JEUNE ORCHESTRE RAMEAU.
« Pour les jeunes instrumentistes, le JOR offre l’occasion inédite de s’immerger au sein d’un grand orchestre formé par des musiciens d’exception et de se connecter avec des artistes du monde entier qui affluent en France pour interpréter les œuvres de Rameau. Imaginez écouter un orchestre de cette envergure, avec des musiciens aguerris et issus de diverses régions du globe, n’est-ce pas là l’incarnation même de l’Universalité chère à l’époque des Lumières ? », avoue Bruno Procopio.
Le JOR se présente aujourd’hui comme une aventure inédite, un laboratoire orchestral d’excellence. « C’est précisément pour cette raison que de prestigieux conservatoires européens se sont associés à nous. C’est pour cette raison aussi que le Sistema des Orchestres du Venezuela compte parmi nos partenaires majeurs. En effet, cette année encore, nous avons eu l’honneur d’accueillir le premier violon du Bolivar. Il est grand temps que les organismes de subvention français ainsi que les entreprises s’engagent à soutenir et à parrainer cet orchestre hors du commun. Notre souhait est que cette initiative, qui allie Patrimoine, Excellence et Jeunesse, trouve un enracinement durable dans notre pays. Je nourris le rêve de voir Dijon, ville natale de Rameau, devenir le creuset d’une dynamique rayonnante autour de son plus illustre ambassadeur : Monsieur Rameau. Une telle entreprise ne manquerait pas d’ajouter une nouvelle dimension à notre voyage musical. »
C’est aussi restituer au public français, une part essentielle de notre patrimoine. Pourtant Berlioz, Debussy et Ravel… comme l’orchestre français classique et romantique ne seraient pas ce qu’ils sont, sans l’héritage du traité d’orchestration de Rameau ; ses opéras, sont d’une force poétique inouïe qui dépasse toute imagination ; Rameau, génie de l’orchestre, génie de l’opéra, homme de théâtre inégalé a révolutionné l’histoire du genre, à compter de son premier opéra Hippolyte et Aricie, fameux scandale de 1733. : et pourtant, chaque saison lyrique, combien sont donnés sur les scènes hexagonales ? Une portion congrue. Grâce au JOR JEUNE ORCHESTRE RAMEAU, Bruno Procopio entend bien inverser la situation – Photos du concert du 21 août © classiquenews.tv 2023
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CLASSIQUENEWS : Présentez-nous ce programme spécialement conçu pour le Festival Berlioz 2023. En quoi est-il représentatif du travail que vous menez depuis 3 ans avec les jeunes instrumentistes du JOR ?
BRUNO PROCOPIO : Nous avons reçu l’invitation de la part de Bruno Messina, directeur du Festival Berlioz, pour élaborer un programme qui devrait prendre en compte des œuvres orchestrales de Rameau autour de la thématique « Mythique ». En tant que Jeune Orchestre Rameau, les œuvres orchestrales de Rameau sont au cœur de notre activité. Nous avons également inclus à sa demande des pièces de l’opéra « Hercule Mourant » d’Antoine Dauvergne, en écho à un autre programme de l’édition 2023 du Festival Berlioz, ainsi que des airs mettant en vedette la sublime soprano Jodie Devos.
Ce travail m’a paru passionnant et facile, car mes airs préférés de Rameau sont adaptés à la tessiture de Jodie Devos. Antoine Dauvergne était lui-même un admirateur de Rameau ; un hommage manifeste aux « Indes Galantes » de Rameau existe dans son opéra « Hercule Mourant ». Le JOR a déjà travaillé et enregistré plus de 2 heures de pièces orchestrales de Rameau ; beaucoup d’entre elles restaurées pour l’occasion par la musicologue et responsable des Éditions Opera Omnia, Sylvie Bouissou. Nous avions alors un vaste choix de pièces à fusionner pour ce programme. J’ai créé un petit opéra imaginaire, tout en respectant les principes mêmes de Rameau ; à savoir, l’insertion de danses entre les airs chantés, des enchaînements harmoniques cohérents, de changements d’atmosphère abruptes et des chaconnes, vastes compositions orchestrales qui clôturent les ouvrages.
Le JOR est un laboratoire orchestral d’excellence qui accueille des musiciens du monde entier. Ils cherchent à vivre une expérience de haut niveau autour de la musique de Rameau, entourés par des solistes de premier plan. Ce concert était précisément la synthèse de toutes nos actions.
CLASSIQUENEWS : Dans le choix des œuvres, y a t-il des inédits de Rameau, des versions rares [extraits d’opéras connus]?
BRUNO PROCOPIO : Quelques pièces ont été créées par le JOR en 2021 lors de sa première édition (disque couronné par un Prix d’Excellence et meilleur disque de l’année selon la revue Scherzo en Espagne). Il s’agit d’une version alors inédite du « Bruit de Guerre » de Hippolyte et Aricie (1742) et des « Sybarites ». Le programme vocal a été axé sur deux œuvres majeures du répertoire, à savoir « Tristes Apprêts » de Castor et Pollux et « Aux langueurs d’Apollon » de Platée. Nous avons principalement évolué dans l’univers de l’Amour, avec plusieurs pièces où les flûtes et les violons suggèrent le ramage.
CLASSIQUENEWS : En quoi l’Orchestre que vous avez dirigé le 21 août dernier, est aussi une expérience pédagogique pour le perfectionnement des jeunes musiciens concernés ?
BRUNO PROCOPIO : Jouer Rameau en orchestre demeure un privilège, même pour les professionnels. L’effectif demandé par Rameau dépasse souvent les ensembles traditionnels constitués, créant un défi non seulement pour les jeunes musiciens, mais également pour les professionnels chevronnés. Rameau innove en permanence ; il requiert une virtuosité sans équivalent au 18ème siècle, mais il demande également une sensibilité vocale qui lui est propre. Les instruments à vent doivent souvent exprimer les mélodies dans l’extrême aigu de leurs tessitures et les jouer de façon naturelle alors qu’elle sont souvent chargées d’ornements.
Jouer Rameau est toujours un défi de taille. Au début de la production, les encadrants, musiciens de renom et de référence dans leurs instruments, doivent modeler les pupitres en tenant compte des différentes écoles. Par la suite, l’orchestre doit se surpasser pour saisir le caractère de chaque pièce (guerre, ramage, airs de virtuosité, etc.). Ces pièces sont souvent de caractère antagoniste, allant de l’extrême allégresse à une forte densité dramatique (guerre, paix, amour).
Je dois transmettre à l’orchestre une large gamme d’émotions. Seuls les musiciens ayant une connexion sensorielle, une sensibilité particulière avec la musique de Rameau peuvent véritablement transmettre la profondeur de cette musique. Cette profondeur émane non seulement de ses mélodies, de ses harmonies mais aussi de son langage, qui lui est propre. Cette musique ne laisse pas de place à une interprétation légère, insipide, flatteuse. Elle se développe dans les cimes, au Parnasse.
Je suis bien conscient de ma chance et surtout de ma « mission » ; évoquer la mission revient également à évoquer le patrimoine, la transmission de connaissances, le partage et l’entente générationnels, la rencontre entre musiciens de tout horizons culturels. Nombreuses sont les œuvres de Rameau qui restent encore à découvrir, à éditer. La plupart des musiciens baroques, même les plus chevronnés, n’ont pas encore eu l’opportunité de jouer certaines pièces du répertoire. Notre mission en tant que jeune orchestre est de créer un lieu d’émulation autour du plus grand compositeur du baroque français.
Je tiens à exprimer mes sincères remerciements pour l’accueil chaleureux du Festival Berlioz et la confiance que son directeur, Bruno Messina, a placée envers notre démarche.
Propos recueillis en août 2023
Photo : Portrait de Bruno Procopio @Restrepo_watches
CRITIQUE
LIRE aussi notre critique du concert MYTHIQUE par le JOR / Bruno Procopio – La Côte Saint-André, Festival Berlioz, le 21 août 2023 :https://www.classiquenews.com/critique-concert-la-cote-saint-andre-chapelle-de-la-fondation-dauteuil-le-21-aout-2023-rameau-dauvergne-j-devos-jeune-orchestre-rameau-b-procopio/
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